Citations sur En vivant, en écrivant (33)
Pourquoi lisons-nous, sinon dans l'espoir d'une beauté mise à nu, d'une vie plus dense et d'un coup de sonde dans son mystère le plus profond? L'écrivain peut-il isoler et rendre plus vivace tout ce qui dans l'expérience engage le plus profondément notre intellect et notre cœur? L'écrivain peut-il renouveler notre espoir de formes littéraires? Pourquoi lisons-nous sinon dans l'espoir que l'écrivain rendra nos journées plus vastes et plus intenses, qu'il nous illuminera, nous inspirera sagesse et courage, nous offrira la possibilité d'une plénitude de sens, et qu'il présentera à nos esprits les mystères les plus profonds, pour nous faire sentir de nouveau leur majesté et leur pouvoir? Que connaissons-nous de plus élevé que ce pouvoir qui, de temps à autre, s'empare de notre vie et nous révèle à nos propres yeux éblouis comme des créatures déposées ici-bas dans l'émerveillement? Pourquoi la mort nous prend-elle ainsi par surprise, et pourquoi l'amour? Encore et toujours, nous avons besoin d'éveil. Nous devrions nous rassembler en longues rangées, à demis vêtus, tels les membres d'une tribu, et nous agiter des calebasses au visage, pour nous réveiller; à la place nous regardons la télévision et ratons le spectacle.
L'une des petites choses que je sais sur l'écriture est la suivante : dépense-la tout entière, lance-la, mise-la, perds-la, tout entière, tout de suite, à chaque fois. Ne garde pas par-dessus toi ce qui te semble bon, pour un autre endroit du livre, ou pour un autre livre; donne-le, donne-le tout entier, donne-le maintenant.
Assembler un livre est intéressant et enthousiasmant. C'est suffisamment difficile et compliqué pour requérir toute ton intelligence. C'est la vie à son plus haut degré de liberté. Ta liberté d'écrivain n'est pas la liberté d'exprimer des opinions outrées ou abruptes; tu n'as pas droit aux divagations.
C'est la vie à son plus haut degré de liberté si tu as la chance de pouvoir essayer, car tu choisis tes matériaux, tu inventes ton projet et tu te donnes ton propre rythme. En démocratie, tu peux même écrire et publier tout ce que tu veux sur n'importe quel gouvernement ou institution, même si ce que tu écris est manifestement faux.
Les bonnes journées ne manquent pas. Ce sont les bonnes vies qui sont rares. Une vie composée de bonnes journées vécues à travers les sens ne suffit pas. Une vie consacrée aux sensations est une vie de gourmandise; elle exige toujours plus. La vie de l'esprit exige toujours moins; le temps est ample et doux son passage. Qui qualifierait de bonne une journée passée à lire? Mais une vie passée à lire, voilà une bonne vie.
Pourquoi lisons-nous, sinon dans l'espoir d'une beauté mise à nu, d'une vie plus dense et d'un coup de sonde dans son mystère le plus profond?
Pourquoi lisons-nous, sinon dans l'espoir que l'écrivain rendra nos journées plus vastes et plus intenses, qu'il nous illuminera, nous inspirera sagesse et courage, nous offrira la possibilité d'une plénitude des sens, et qu'il présentera à nos esprits les mystères les plus profonds, pour nous faire sentir de nouveau leur majesté et leur pouvoir ? (p92)
Beaucoup d'écrivains accomplissent fort peu de choses hormis rester assis dans de petites pièces en évoquant le monde réel. Voilà pourquoi tant de livres décrivent l'enfance de l'auteur. L'enfance de l'écrivain a peut-être été l'occasion de sa seule expérience de première main.
Chaque année le photographe en herbe soumettait une pile de ses meilleurs tirages à un vieux photographe célèbre dont il attendait ensuite le verdict. Chaque année le vieillard examinait ces tirages, puis les classait conscienceusement en deux piles, les bons et les mauvais. Chaque année le vieillard classait certaines photos de paysage dans la pile des mauvais tirages. Il finit par se retourner vers le jeune-homme pour lui dire:
- Vous me soumettez ce paysage chaque année, et chaque année je le pose sur la pile des mauvaises photos. Pourquoi l'aimez-vous tant ?
Le jeune photographe répondit:
- Parce que, pour prendre cette photo, il m'a fallu gravir une montagne.
(....)
Combine de livres lisons-nous, dont l'auteur n'a pas eu le courage de couper le cordon ombilical ? Combien de cadeaux ouvrons-nous où l'écrivain a négligé de retirer l'étiquette du prix ? Est-il nécessaire, est-il courtois que nous apprenions ce que cela a coûté personnellement à l'auteur ?
Une autre fois, j'ai vu la mer phosphorescente pendant une tempête d'hiver devant la cabane; dans la nuit noire, les vagues noires déferlaient en lignes sauvages jusqu'à l'horizon et vomissaient une écume verte qui luisait à chaque bourrasque et, debout sur le rivage, je pleurais de peur.
Encore et toujours nous avons besoin d'éveil. Nous devrions nous rassembler en de longues rangées, à demi vêtus, tels les membres d'une tribu, et nous agiter les calebasses au visage, pour nous réveiller; à la place, nous regardons la télévision et ratons le spectacle.