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Citations sur Le verbe libre ou le silence (73)

En ce siècle de l’exhibitionnisme planétaire, c’est la pudeur qui passe
pour une tare. « Fais un chapitre sur ta mère, sur ton père aussi… ce sera
plus vendeur ! » réclamait la cavalière ; et, mon tenace refus l’exaspérait.
Comme beaucoup, j’ai peut-être des raisons de faire pleurer dans les
chaumières, mais je n’écris pas pour décrire les abandons, seulement pour
partager ce qui m’a permis d’y survivre, jusqu’ici. Non, je n’écris pas pour
pleurer sur les absents, mais pour rendre hommage à ceux qui étaient
présents et bien présents : mes inoubliables grands-parents. Madame la
cavalière, elle, tenait à ce que j’exhibe mes amputations. Une éditrice a-t-
elle le droit de forcer l’ouverture des plaies des auteurs ? N’est-ce pas à
chaque auteur de choisir quand et comment promener sa plume dans les
fêlures de son âme ? En quête de beauté, j’écris pour partager mon kit de
survie avec ceux qui me font l’honneur de me lire ; ils ont sûrement eu, eux
aussi, leur lot de blessures, à quoi leur servirait-il de mirer les miennes ?
Tant de bêtes à plume s’effeuillent sous les caméras du siècle ! Non,
rhabillons-nous d’un peu de décence, il fait si froid dehors. Quand nous
avons la chance de ne pas dormir sous la lune, invitons les étoiles dans nos
pages. La littérature, ce n’est pas que satyres et nymphettes ni seulement
houles et naufrages ; elle offre aussi l’horizon et de belles rives ensoleillées.
La vie est cruelle, tout le monde le sait, alors, puisons dans la poésie un peu
d’onguent pour l’âme. Autrefois élégante, la discrétion est aujourd’hui
jugée louche. À force de médiatisation, même les actions de bienfaisance
humilient les bénéficiaires plus qu’elles ne les aident
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La création sur commande extérieure est à l’art ce que la cuisine
industrielle est à la gastronomie : une médiocre reconstitution. Que du déjà
vu ! L’auteur est prié de singer son propre style et de le teinter de l’idée
d’autrui. Non, je décide seule des nuances de mon encre mauve. La plume
reste quand les autres s’en vont, elle nous accepte tels que nous sommes,
avec nos questions comme nos contradictions. Ainsi, dans l’intimité de
l’écriture, la plume peut pleurer souriante. Pudique, la lune couve ce que le
jour outrage. Nocturne, ma plume cause à l’étoile du berger. Alors, si mon
murmure vous parvient, faites-en ce qui vous chante, mais, votre ouïe ne
m’engage à rien. Je n’ai signé qu’un contrat sous la lune : fidélité à mon cap
et à l’étoile du berger. J’écris, la nuit, sur ce qui m’empêche de dormir, je ne
peux pas m’approprier vos rêves. Même si nos prières s’adressent au même
Seigneur, chacun sa voix. Jacques, écrivant l’idée de Paul à la manière de
Jacques, ce n’est plus du Jacques. Arrêtons de flouer les lecteurs ! Lorsque
le thème est imposé, le style de l’auteur n’est que glutamate. Entre les
additifs circonstanciels du commanditaire et ses correcteurs de goût, les fins
gourmets de Lettres peinent à détecter un arôme d’authenticité. À ceux qui
se satisfont de telles mixtures et s’offusquent de l’indocilité de quelques
cuisiniers, disons-leur tout net : émulsionner ses émotions avec n’importe
quelle férule, ce n’est pas donné à tout le monde. Un certain niveau de
masochisme demande du génie ! Étant dépourvue d’un tel génie, qu’y puis-
je ? Alors, pardonnez-moi d’être ordinaire.
[...]
Mesdames, messieurs, les plaignants du port, un auteur, s’il a vraiment de
la considération pour vous, ne vous remettra qu’un texte qu’il assume, sans
honte. Et, s’il n’a pas le temps ou l’envie d’en écrire un, laissez-le
tranquille ; n’ayant rien investi pour son souffle ni pour ses études, vous
n’avez strictement rien à exiger de lui. Alors, foutez-lui la paix ! Car,
intègre, il vous respecte autant qu’il se respecte en déclinant votre
proposition, qui à ses yeux mérite autre chose qu’une courtoise médiocrité,
autrement dit, de l’hypocrisie.
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Alors, les sourires suffisent-ils pour payer le loyer, les Pampers du petit
et les baskets de l’aîné ? Les applaudissements assurent-ils le petit-déjeuner,
le déjeuner et le dîner ? Oui, dans un cercueil ! Seuls ceux qui sont assis sur
une fortune peuvent se permettre d’éluder ces questions. Ils sont ravis que
je m’en sois sortie, disent-ils, condescendants, alors que je constate qu’ils
ne veulent surtout pas que je dépasse la barre de la survie ; certains font
même tout pour me garder sous leur nez. Vous leur adressez gracieusement
un livre par fraternité, seul le vent d’hiver vous dit s’ils l’ont reçu ; alors, le
liront- ils ? Pourtant, ils prétendent partager vos combats. Pinocchio, voici
tes frères ! En vérité, ils vous poussent au front, à vos risques et périls, puis
s’évaporent quand le soldat réclame des camarades. Sourds à tout appel, ils
ne vous contactent que pour exiger une conférence gratuite ; le reste de
l’année, vous pouvez dribbler la Rôdeuse des ombres, seul. Non, les paons
n’adoptent pas les pélicans ! Et, il faut les entendre gloser intégration ! Les
écoutant, Mohamed n’aurait pas choisi Médine pour son exil, il les aurait
suivis, la main sur le cœur, mais, une fois édifié, il aurait vite rebroussé
chemin. Quand vous êtes étranger/ère, certains se comportent avec vous
comme s’ils vous faisaient une faveur de leur seule présence même passive
dans votre vie, tout en exigeant sans cesse de vous des preuves que vous
méritez bien d’habiter le même terrain que leur poulailler. Beaucoup
imaginent encore l’étranger comme celui qui est toujours aidé par les
autres. Détrompez-vous. Parfois, si esseulé, donc en quête d’entourage, il
rend tellement service, que certain(e)s qu’il prend pour des ami(e)s
mériteraient qu’il les appelle patrons ou patronnes.
« Mamadou est si sympa, il nous a encore fait un thiéboudiène
dimanche dernier ; il viendra nous aider cette semaine pour élaguer les
arbres du jardin ! Pedro nous a filé un coup de main pour la rénovation de la
salle de bains, c’est nickel ! Nous rentrons de Pékin avec Ting, elle nous
avait hébergés chez sa mère, c’était super ! Nora et Karim nous gardent les
petits le week-end de la Toussaint, d’ailleurs, ils nous invitent pour les
vacances de Noël à Monastir ! » Et, je n’ai pas mentionné le couscous
régulier chez Khadîdja ni les tagliatelles chez Maria, dont le mari,
Alessandro, sert de garagiste gratuit ; pourtant, c’est toujours nous, les
venus d’ailleurs, que l’on accuse tout le temps de profiter. Comme si nous
n’étions jamais utiles aux autres ! Non, rendre service est notre visa
permanent. Et lorsque nous tombons sur des profiteurs invétérés, notre
gentillesse vire au servage, notre indisponibilité étant souvent perçue
comme un crime de lèse-majesté. Alors, être adopté, est-ce passer son
existence à payer, seul, le prix de la fraternité ? Et ceux qui me harcèlent
pour des conférences gratuites et s’offusquent quand l’agenda est seul
fautif ; où sont-ils quand la nostalgie m’envoie ses démons ? Se disant
ami(e)s savent-ils/elles ce qui hante mes jours ou mes nuits ? Où sont-ils,
quand ma rame casse la gueule à la Rôdeuse des ombres pour lui arracher
une aube de plus ? « Une collègue m’a dit que tu as été hospitalisée, elle t’a
vue alors qu’elle rendait visite à sa mère ; qu’est-ce que t’as eu ? Pourquoi
tu ne m’as rien dit ? » Et blabla, rebla… jusqu’à ses labiales meurtries, mes
oreilles aussi. Mais, qui donc peut discuter de ses bobos avec une chimère ?
Un café, samedi prochain ? Désolée, je ne suis pas disponible, avait dit
celle qui se plaignit ensuite de n’avoir pas été informée du rendez-vous
chez Hippocrate. Pourtant, j’avais ramé longtemps dans son sens. Oh,
hisse ! Alors, on pourrait se caler un dîner le samedi suivant ? J’aurais aimé,
mais… mais, ce week-end-là, je vais chez mes parents. La centaine d’autres
week-ends précédents, c’était du même tonneau, quand son Alexandre le
Grand n’avait pas des projets pour le monde. La patience, la frustration, le
dégoût, l’adaptation, puis, le renoncement, certes résigné mais aussi digne
que résolu, ces petits détails-là, ceux qui causent pour la forme ne s’en
rendent jamais compte, l’ami(e) étranger/ère étant censé(e) être
compréhensif/ve et reconnaissant(e) même pour une relation d’une mortelle
médiocrité.
Petit matelot, j’en ai vu des mirages, ils me retrouvent comme ils me
laissent, toujours fidèle à ma rame. Inutile de leur reprocher l’absence,
celle-ci m’est si familière, et puis, ma plume contient assez d’humains pour
peupler le Sahara et le Kalahari réunis. Quitte à froisser quelques
susceptibilités, allons-y gaiement : abandonner un écrivain, volontairement
ou non, c’est toujours lui rendre service, car, c’est une chance qu’on lui
donne de poursuivre tranquillement sa plus passionnante conversation :
l’écriture. Et, ne le prenez pas mal, mais, s’il est aussi passionné que moi, il
ne se rendra compte de votre absence qu’à votre retour. Entre Arthur et
Boris, quand ces galants compagnons de veillées s’appellent Rimbaud et
Vian, les nuits d’une Dame ne manquent de rien. Et, si la lecture allège la
solitude, imaginez donc l’écriture et ses sortilèges ; d’une pirouette, la
plume vous envole un tanker de blues pour le large. Qu’importent les traces
de pas sur le rivage, chaque livre est un navire en partance. Une vie
intérieure, ça existe vraiment et, bien apprivoisée, elle vous apprend à vivre,
à survivre à la comédie humaine qui, finalement, n’est faite que de petites
tragédies. La Rôdeuse des ombres nous pourchasse, grimaçante. Eh bien,
qu’elle vienne ! C’est souriant que nous l’accueillerons à coups de rame,
même les carpes ne se rendent pas sans combattre. Avec ou sans soleil, je
rame en chantant, le chœur des vagues jamais ne tombe et l’écho du large
me vaut coryphée. Polyphonies sérères, mé-é/anda-è ! Toujours, un vieil
homme me rend le refrain : « mon petit matelot, ne crains pas la solitude de
l’exil ; sache qu’ici comme ailleurs, les jours de houle, certains se mettent
au sec. C’est la vie ! » Capitaine, j’ai bien vu, il en est même qui traversent
leurs jours en ciré ! C’est la vie, rame ou coule ! Mais, les dauphins ne font
pas des poules. Oh, hisse !
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Lire un auteur africain, ce n’est pas lire de la littérature africaine, comme on va manger chinois en se commandant machinalement son canard laqué parce qu’on l’avait aimé ailleurs. Lire, c’est d’abord aller à la rencontre d’un auteur, d’une personnalité singulière, c’est-à-dire, aller à la découverte d’un bout d’humanité, d’une expression particulière de celle-ci.
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Cette vigilance, quant à la qualité de nos aliments, ne devrait-elle pas aussi s’exercer au moment de choisir les nourritures de l’esprit ? Une épidémie de gastro-entérite fait moins de mal à la société qu’une intoxication des esprits. Or, avant toute considération idéologique, n’est-on pas dans l’intoxication de la pensée, lorsque le livre mis à la disposition des lecteurs ne ressemble plus à celui que l’auteur a remis à son éditeur ? Un auteur, c’est un regard, une langue, un souffle, une musique, une sensibilité identifiable à ses particularités. Le livre, c’est donc une âme qui signe son passage au monde.
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“ Rame, petit matelot, redresse-toi et rame ; l’action ne sauve pas toujours, mais l’inertie hâte le naufrage, même à terre ! ”


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“ La vie est cruelle, tout le monde le sait, alors, puisons dans la poésie un peu d’onguent pour l’âme.”
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“Le sillage d’un rameur ne tient pas qu’aux vents, favorables ou non, il dépend aussi de son ardeur à la rame et de sa fidélité au cap. Oh, hisse !”
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“Si vraiment la liberté d’expression vous tient à cœur, sachez que, sans ressources, aucune plume n’est libre. Si la nécessaire gamelle ne domestiquait pas, les chiens seraient encore en train de savourer la même liberté que les loups, qui, eux, chassent et s’assurent eux-mêmes leurs repas, seule raison qui leur garde une indomptable liberté.”
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“Qu’importent les traces de pas sur le rivage, chaque livre est un navire en partance. Une vie intérieure, ça existe vraiment et, bien apprivoisée, elle vous apprend à vivre, à survivre à la comédie humaine qui, finalement, n’est faite que de petites tragédies.”
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