Maudit manège

Je suis un type que le bonheur rend triste, à ce qu'il paraît, mais qu'on ne s'y méprenne pas, les merdes ne me rendent pas joyeux.

Il aurait été surprenant qu'Eric ne nous entende pas arriver. Il n'a pas eu l'air étonné lorsqu'il nous a vus, il a eu l'air épouvanté.

Ce n'était pas le moindre paradoxe de ce monde dégoûtant que de pouvoir s'illuminer par moments et c'est fait pour ça un écrivain, c'est fait pour ramasser tout ce qui brille.

Le soleil vous frappait déjà en pleine figure un jeune soleil nerveux et encore maladroit qui vous brûlait tout de suite une espèce de chien fou étranglé par sa laisse dans le genre printemps hystérique.

Ils ont de la chance, ceux qui se consument de l'intérieur, ils brillent d'une belle lumière, on les reconnaît plus facilement.

J'ai passé les meilleurs moments de la journée à l'observer, à épier ses moindres gestes en prenant soin de cacher mon manège du mieux que je le pouvais. Je tenais un magazine entre mes mains pendant qu'elle jouait aux échecs avec Henri, que son front se plissait et qu'elle se tripotait les lèvres. Je passais en revue toute la pile de disque pendant qu'elle nous servait le thé et qu'elle coinçait une mèche de cheveux derrière son oreille, que ses mains volaient au dessus des tasses et qu'elle se balançait sur les genoux. J'ai comme qui dirait relu mes notes tandis qu'elle parlait, souriait, fronçait les sourcils, se levait, riait, bâillait, traversait la pièce de long en large, se caressait les bras, se frottait un œil, croquait un bonbon, et je ne perdais pas une seule expression de son visage, qu'elle fut debout, assise ou couchée sur le canapé, qu'elle claquât dans ses mains ou qu'elle râlât, qu'elle se déplaçât dans la lumière de l'après-midi ou qu'elle se tint tranquille pendant que le jour tombait. C'était une journée particulièrement intéressante pour moi et riche d'un nombre incalculable de petits détails précieux.

Je ressens une espèce d'attirance sexuelle pour cette image de la coupe qu'on boit jusqu'à la lie.

Il n'y a rien de pire au monde que d'être incapable d'aligner quelques lignes. Je m'écartai de ma table le menton collé à la poitrine, le regard éteint. J'étais comme un coureur à pied qui s'étale avec une crampe, un dompteur sans ses fauves, un océan sans marées, j'étais comme un Casanova sans ses couilles, un pauvre paralytique, une petite fiancée enchaînée. Je fis quelques exercices de respiration pour oublier tout ça. J'avais du mal à imaginer un Céline ou un Miller s'installer à un bureau sans qu'il en sorte quelque chose. Je ne voulais pas me le cacher, malgré tout.

Ce n'est pas toujours très facile de faire la différence entre la difficulté d'être et une mauvaise grippe, elles vous collent toutes les deux à plat.

Ne permets pas aux évènements de ta vie quotidienne de t'enchaîner mais ne te soustrais jamais à eux. Ainsi, seulement tu atteindras la libération.
Huang-Po