Fernand Dumont était docteur en sociologie de la Sorbonne ; il fut, pendant plus de quarante ans, professeur au Département de sociologie de l’Université Laval ; il est l’auteur, avec son ami Yves Martin, d’une monographie sociologique exemplaire, L’Analyse des structures sociales régionales, parue en 1963. Tout cela justifie-t-il de ranger les oeuvres complètes de Fernand Dumont dans le rayon de la sociologie ? Sa thèse de doctorat en sociologie, parue sous le titre La Dialectique de l’objet économique, relève davantage de la philosophie des sciences ou de l’épistémologie des sciences humaines que de la sociologie au sens strict du terme. Quant à son opus magnum, Le Lieu de l’homme, comment ne pas y reconnaître par-dessus tout un essai philosophique ? Sans oublier que Dumont était aussi théologien, docteur en théologie, après avoir soutenu, à l’âge de soixante ans, sa seconde thèse de doctorat, elle aussi publiée, sous le titre L’Institution de la théologie. Essai sur la situation du théologien.
Redisons-le: pour l’homme, le monde est d’emblée significatif. Il n’est pas devant nous comme une réalité étrangère. Nous l’appréhendons d’abord selon nos sentiments et nos désirs. On a souvent relevé cette évidence pour ce qui est de la perception d’autrui : un visage n’est pas d’abord une suite de traits, de détails, mais un ensemble d’intentions, le style d’une présence qui consent ou se refuse. Le cosmos et les objets inanimés qui m’entourent s’offrent aussi à moi comme s’ils incarnaient des intentions similaires ou hostiles aux miennes, comme s’ils me proposaient une sorte de dialogue bien avant que je m’aperçoive qu’ils sont une nature opposable à ma conscience.
Malgré sa « scolarité aventureuse » qu’il évoque dans Récit d’une émigration, Fernand Dumont eut une conscience précoce de sa destinée, une idée claire de ce qu’allait être sa vocation dans le monde : construire une œuvre qui soit le témoignage d’une recherche personnelle, d’une aventure intellectuelle.