Citations sur L'amant (415)
Elle me regarde, elle dit : peut-être que toi tu vas t'en tirer. De jour et de nuit, l'idée fixe. Ce n'est pas qu'il faut arriver à quelque chose, c'est qu'il faut sortir de là où l'on est.
Un jour, j’étais âgée, déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. »
Ils ne se parlent plus, ils sont les mêmes.
Il pleure souvent parce qu'il ne trouve pas la force d'aimer au-delà de la peur.
Elle entre dans l'auto noire. La portière se referme. Une détresse à peine ressentie se produit tout à coup, une fatigue, la lumière sur le fleuve qui se ternit, mais à peine. Une surdité très légère aussi, un brouillard, partout.
Elle ne le regarde pas au visage. Elle ne le regarde pas. Elle le touche. Elle touche la douceur du sexe, de la peau, elle caresse la couleur dorée, l'inconnue nouveauté. Il gémit, il pleure. Il est dans un amour abominable.
En pleurant, il le fait.
Un jour, j'étais âgée déjà, dans le hall d'un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s'est fait connaître et il m'a dit : "Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j'aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté."
Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. Il me semble qu'on m'a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu'on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l'ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu'il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d'en être effrayée j'ai vu s'opérer ce vieillissement de mon visage avec l'intérêt que j'aurais pris par exemple au déroulement d'une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu'un jour il se ralentirait et qu'il prendrait son cours normal. Les gens qui m'avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m'ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l'ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu'il n'aurait dû. J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s'est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J'ai un visage détruit.
" C'est un homme qui doit faire beaucoup l'amour, c'est un homme qui a peur, il doit faire beaucoup l'amour pour lutter contre la peur."
Je ne sais plus quels étaient les mots du télégramme de Saigon. Si on disait que mon petit frère était décédé ou si on disait rappelé à Dieu. Il me semble me souvenir que c’était rappelé à Dieu. L’évidence m’a traversée ce n’était pas elle qui avait pu envoyer le télégramme. Le petit frère. Mort. D’abord c’est inintelligible et puis, brusque ment, de partout, du fond du monde, la douleur arrive, elle m’a recouverte, elle m’a emportée, je ne reconnaissais rien, je n’ai plus existé sauf la douleur, laquelle, je ne savais pas laquelle, si c’était celle d’avoir perdu un enfant quelques mois plus tôt qui revenait ou si c’était une nouvelle douleur. Maintenant je crois que c’était une nouvelle douleur, mon enfant mort à la naissance je ne l’avais jamais connu et je n’avais pas voulu me tuer comme là je le voulais.