(...) il [Stendhal] savait que les confidences des âmes sensibles sont toujours interprétées de travers par les âmes vulgaires qui les surprennent, et que ce qui n'est que vérité curieuse, exaltante ou instructive, devient, en passant par elles, exhibitionnisme, cynisme, remords ou fanfaronnade.
Je conçois parfaitement que Stendhal fût "blessé au vif" par les personnes qui voulaient lui imposer des opinions. A l'égard d'un homme comme lui, qui en avait d'excellentes, c'était d'une extrême impertinence. Car enfin, il ne faut pas renverser les rôles : celui de Stendhal était précisément de faire connaître ses opinions éprouvées par une sensibilité infaillible et une intelligence sans faiblesse, et non pas d'écouter celles, vacillantes et temporaires, d'autrui, fruit du hasard ou de l'occasion.
Que Stendhal ne comprît pas qu'on pût avoir d'autres opinions que les siennes sur les choses ou sur les hommes, cela est tout naturel. Les grands hommes sont coutumiers de cette modestie. Ils oublient les raisonnements, les jugements, les déductions infinies par lesquels ils sont passés pour arriver aux notions simples et justes qui forment le corps de leur philosophie. Quand on a l'habitude de regarder les choses dans leur vérité et de ne pas se mentir à soi-même, on est toujours surpris par l'ardeur que mettent les gens à réfuter les évidences.
Il est très facile (...) de se repentir d'une sottise faite ou dite, et de s'en empoisonner le cœur pendant une semaine. Extirper la sottise de son âme, la brûler comme une verrue, la décider nulle et non avenue, déclarer que l'on est absolument identique à ce que l'on était auparavant, voilà la vraie force de caractère. Pourquoi ne s'amputerait-on pas d'une sottise, comme le loup s'ampute d'une patte quand il est pris au piège ?
Il y a des peuples châtrés ou stupides, qui s'accommodent très bien d'un gouvernement despotique qui leur dispense une certaine prospérité matérielle, et se disent heureux parce qu'ils mangent bien.
Un ennuyeux ou un esprit malveillant suffit à empoisonner les plaisirs de l'âme sensible et à la mettre en fuite, car tout, alors, est interprété contre elle : il lui faudrait se contrôler, revenir à l'hypocrisie, mentir. Avec un esprit malveillant, plus de liberté dans la conversation, plus d'abandon. On est un prévenu qui a intérêt à ne parler qu'en présence de son avocat.