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Critique de AnnaCan


14, c'est l'histoire d'Anthime et de quatre autres types (copains, frère) partis à la guerre. Certains reviendront, (mais dans quel état), d'autres pas. Echenoz met ici son incroyable talent de styliste au service d'un sujet fort, ce qui fait de 14, à mes yeux, l'un de ses meilleurs livres.

Sur le fond, j'ai été particulièrement frappée par une chose : dans une guerre comme celle-ci, la vie des hommes envoyés au front, la vie des soldats n'a aucune valeur. Je le savais, en théorie. Qui n'a entendu parler à propos de la guerre de 14 de chair à canon, de boucherie, etc… Je le savais, mais je ne l'avais pas compris. Avec ce livre, je l'ai pleinement compris. Ces hommes ont été traités non comme des êtres humains, mais comme un matériau inépuisable dont la Nation disposait à sa guise — ce qui, de fait, excluait de le bien traiter ou de l'économiser.
Sur la forme, j'ai été frappée par les similitudes avec L'Acacia de Claude Simon, dans lequel il est aussi question de la guerre, et avec Imre Kertesz, qui, dans Etre sans destin, revient sur son année de détention dans les camps de Zeitz et de Buchenwald. Similitudes dans le ton, à la fois ironique et tragique qui réussit le mariage paradoxal et jubilatoire du burlesque et de l'effroi. Et dans la manière d'y parvenir aussi : en réduisant l'homme à certaines parties de son anatomie, en mettant l'accent sur le mécanisme, les rouages de la machine humaine, ou encore en appliquant à l'homme un vocabulaire d'ordinaire réservé au monde inanimé.

Cela donne chez Echenoz :
« Cependant, tandis que l'orchestre tenait sa partie dans le combat, le bras du baryton s'est vu traverser par une balle et le trombone est tombé, très mauvaisement blessé : le rond s'est resserré d'autant et, quoique en formation restreinte, les musiciens ont continué de jouer sans la moindre fausse note, puis comme ils reprenaient la mesure où se lève l'étendard sanglant, la flûte et l'alto sont tombés morts. »
Ou encore :
« Les épargnés se sont relevés plus ou moins constellés de fragments de chair militaire, lambeaux terreux que déjà leur arrachaient et se disputaient les rats, parmi les débris de corps ça et là - une tête sans mâchoire inférieure, une main revêtue de son alliance, un pied seul dans sa botte, un oeil. »

Et cela donne chez Claude Simon :
« On ne tire pas tout de suite, et quand le tir se déclenche c'est comme négligemment, distraitement, sans conviction pour ainsi dire, comme si le tireur agissait par réflexe, sans trop viser (mais peut-être n'est-ce pas sur lui qu'on tire?), n'entendant aucune balle siffler, entendant seulement le crépitement saccadé et assez lent de la mitrailleuse, comme de pure forme lui aussi, futile, assez loin semble-t-il, du moins pour autant qu'il puisse en juger à travers la rumeur de son sang et de son souffle (…) »

Et chez Imre Kertesz qui, dans cet extrait, vient d'être jeté à demi-mort du train qui le ramène de Zeitz à Buchenwald:
« Immédiatement à côté de moi un objet difforme entra dans mon champ de vision : un sabot, de l'autre côté une casquette de diable semblable à la mienne, deux accessoires pointus - le nez et le menton - au milieu, une dépression caverneuse - un visage. Et puis encore d'autres têtes, des objets, des corps - je compris que c'étaient les restes du chargement, les déchets, dirais-je pour employer un terme plus précis, qui avaient sans doute été mis là en attendant. »

S'il y avait un enseignement à tirer de ces trois livres, ce serait peut-être ceci : La Guerre, la Victoire ou la Défaite, le Destin ne correspondent pas à leur essence. Ils sont enveloppés d'un halo de banalité, ils s'inscrivent dans la marche ordinaire de la vie. Et si on s'avisait de demander à Anthime à son retour des tranchées, à Claude Simon à son retour de la guerre ou à Imre Kertesz à son retour de déportation : « Comment avez-vous fait, au milieu de toutes ces horreurs? », ils répondraient probablement : « J'ai vécu… »
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