Citations sur L'Île du jour d'avant (47)
(...) il avait appris que les souverains font de leur arbitre, vertu, que le Pouvoir est un monstre insatiable, et qu'il fallait le servir comme un esclave dévoué afin de profiter de chaque miette qui tomberait de cette table, et d'en tirer occasion de lente et anfractueuse montée en puissance - d'abord en sbire, sicaire et confident, puis en se faisant passer pour gentilhomme.
Comme la médecine enseigne aussi les poisons, la métaphysique trouble avec d'inopportunes arguties les dogmes de la religion, l'éthique recommande la magnificence (qui n'est pas bonne pour tous), l'astrologie patronne la superstition, l'optique trompe, la musique fomente les amours, la géométrie encourage l'injuste domination, la mathématique, l'avarice - de même, l'Art du Roman, tout en nous avertissant qu'il nous fournit des fictions, ouvre une porte dans le Palais de l'Absurdité, laquelle, par légèreté franchie, se referme dans notre dos.
Aspirer à quelque chose que vous n'aurez jamais, n'est-ce pas la pointe du plus généreux d'entre les désirs?
Roberto comprit que la nature s'attristait avec lui et, ainsi que parfois il arrive à celui qui reste privé d'une personne chère, peu à peu il ne pleura plus le malheur de l'autre, mais le sien propre et sa solitude retrouvée.
(...) un paquet de peau qui avait encore l'odeur de son cornu de donateur.
(...) son corps désormais n'était plus qu'un nid de teignes dans la peau du cou, nuée devant les yeux, morve au nez, buccin dans les oreilles, jaunisse du râtelier, roidissement de la nuque, embrouillement de la gargamelle, empodagrement des talons, flétrissure scrotalienne, blêmissement du poil, crépitation des tibias, trémulation des doigts, trébuchement des pieds, et sa poitrine n'était qu'une vidange catarrhale au milieu de graillons baveux et de crèverie salivaire.
Par ailleurs, Magellan déjà, assurait le père Caspar, avait raconté comment certains indigènes croyaient que les navires, venus en volant du ciel, étaient les mères naturelles des chaloupes, qu'ils allaitaient en les laissant pendre à la muraille et puis sevraient en les jetant dans l'eau.
La côte se détachait sombre sur la mer maintenant d'encre claire, quand le reste du ciel apparaissait d'une couleur camomille blafarde et épuisée, comme si le soleil ne célébrait pas, là derrière, son sacrifice mais plutôt s'assoupissait lentement et demandait au ciel et à la mer d'accompagner à mi-voix son coucher.
Roméo de cette fuyante terre sainte, amoureux volage, il voulait être le vent qui lui agitait les cheveux, l'eau du matin qui lui baisait le corps, la robe qui la pressait la nuit, le livre qu'elle pressait le jour, le gant qui lui tiédissait la main, le miroir qui pouvait l'admirer dans toutes les poses... Une fois il sut qu'on lui avait offert un écureuil, et il se rêva petit animal curieux qui, sous ses caresses, glissait son museau innocent entre les seins virginaux, tandis que de la queue il lui flattait la joue.
Plein de désir, il faisait naufrage la bouche sur la carte, suçait cet océan de volupté, titillait un cap, n'osait pénétrer une passe, la joue écrasée sur la feuille il respirait le souffle des vents, aurait voulu boire à petits coups les veines d'eau et les sources, s'abandonner assoiffé à assécher les estuaires, se faire soleil pour baiser les rivages, marée pour adoucir le secret des embouchures...