Là, tout de suite, ça me soulage de ne pas avoir à parler, mais, alors que j’avais déjà le sentiment de ne pas être complètement là, je dois lire à voix haute le récit d’invention demandé par la prof de français. On devait écrire une lettre mêlant description du contexte et des sentiments, comme Apollinaire dans les Lettres à Lou. J’avais choisi comme narrateur un soldat condamné à mort, qui écrivait son dernier courrier à son amoureux. Je me suis inspirée du film de Jeunet, Un long dimanche de fiançailles, et j’ai vraiment fait de mon mieux. J’ai choisi deux hommes parce que je m’étais fait la réflexion qu’on ne parlait que des couples hétéros dans les récits sur la Première Guerre. Apparemment, la prof était ravie, elle m’a demandé de partager mon texte, ce que je déteste faire. Mais je suis trop bonne élève pour dire non, alors voilà, j’ai lu. Il y a eu un grand silence. Je me suis sentie vraiment comme une extraterrestre. Est-ce qu’ils aimaient ? Ils me regardaient tous avec les yeux ronds, j’étais incapable de déchiffrer leur expression. ...
- Vivre au jour le jour pour être heureux, même quand on a toutes les raisons du monde pour être malheureux.
- J'ai l'impression que les autres n'en ont rien à faire, je me demande si ce n'est pas encore mon hypersensibilité bizarre.
- Non, pas du tout, tu n'as rien de bizarre, tu es humaine ! Et je trouverai cela étrange que les autres ne réagissent pas plus que ça, s'ils n'étaient pas des moutons déguisés en humains.
- Quoi ?
- Oui, tu n'as pas remarqué ? Dans mon lycée, 90 % des élèves sont en fait... des moutons ! D'ailleurs, si tu les écoutes, en faisant bien attention, tu peux les entendre bêler. Ils sont bêtes à manger du foin ou... des Oero !
J'hésite à replonger dans les souvenirs de Milad. Mais l'objectif est de le rendre heureux, non ?
Il a le regard tellement triste
Je regarde la cour du lycée par la fenêtre. Des feuilles jaunes, orange, rouges, jonchent le sol et pourtant, il fait encore chaud et beau. Les températures sont anormalement hautes pour la saison. Le réchauffement climatique nous offre un bel été indien et j’ai envie d’aller me balader, de marcher en forêt, de sentir l’odeur humide des sous-bois. Non pas que je sois une grande fan de la nature, mais plutôt parce que j’ai envie de m’échapper. La plage me plairait bien aussi… Je me vois tout à fait courir sur le sable à Cap-Ferret au lieu de rester ici. Mais on n’est que mardi, encore quatre jours à attendre avant le week-end et, peut-être, une sortie en famille. Si ma sœur veut bien, si mes parents se mettent d’accord, s’il fait toujours aussi beau qu’aujourd’hui… Les chances sont minces, il faut l’avouer.
La rentrée a eu lieu depuis déjà quatre semaines et je n’ai qu’une hâte, les vacances. Il faut attendre presque un mois. Et je suis sûre que les profs vont nous gaver de devoirs : j’ai l’impression que la seconde est bien plus difficile que la troisième.