Il y a deux personnes absolument indispensables en ce bas monde [...]. La sage-femme et le fossoyeur. L'une accueille, l'autre raccompagne. Entre les deux, les gens se débrouillent.
Chez ganglion et fils, on ne vous enterre pas, on vous enciel.
Ce n'est pas contagieux, la mort, tu sais, c'est héréditaire
C'était un homme d'épilogue, jamais il n'avait craint aucune situation désespérée, celles qu'il redoutait par-dessus tout étaient celles qui n'étaient que graves.
J'ai l'impression qu'il n'y a pas d'endroit où les morts sont moins présents qu'au cimetière. Ils sont dans l'air, dans le vin, dans les pierres, partout ; en nous surtout. Mais pas ici, il n'y a personne ici.
- Ils ont dû crever, marmonna Georges.
- Non, je suis sûr qu'ils sont vivants, il faut faire demi-tour, il faut aller voir.
- Un convoi funéraire ne fait pas demi-tour, jamais...
- On n'est plus un convoi, on est tout seuls.
- Ne discute pas, c'est une question de principe. On reste là, on les attend.
-je vous dois combien, docteur ?
-rien pour un constat de décès. Question d'éthique. Diagnostic trop facile....
Le soir même, après la fermeture, pris de remords, Ganglion partit à l'église, prier pour que la doyenne s'en sorte. Il promit qu'il ne boirait plus, et à tout hasard, il demanda que les affaires reprennent. Lorsqu'il voulut allumer un cierge pour valider ses prières, il fut sidéré en découvrant le prix affiché. "Cent francs, le cierge." En imposant de tels tarifs, le curé s'assurait que les paroissiens trop peu motivés n'obtiennent rien du ciel, que ceux qui demandaient tout et n'importe quoi ne le demandent plus, et que ceux qui remerciaient le fassent avec un peu plus de gratitude. (p. 53)
《Chez Ganglion & fils, on n'enterre pas, monsieur, on encielle. Et pour les couronnes, on est bien moins cher que les dentistes, croyez-moi.》
X
Depuis un moment, Molo se posait une intri-
gante question qu'il se répétait sans pouvoir y
répondre, ce qui l'aidait aussi à rester éveillé. Il
en parla à Georges :
— Est-ce que tu crois qu'on passe plus de
temps à n'être pas né ou à être mort ?
Il lui répondit sans réfléchir :
— C'est kif-kif.
Avec cette facilité qu'il avait à trouver des ré-
ponses à tout, Georges avait toujours impres-
sionné Molo. Cette fois, pourtant il n'y parvint
pas.
— C'est un peu léger comme réponse.
— C'est ta question qui est idiote.
Molo fut un peu vexé et renchérit :
— Et tu savais, toi, peut-être, que parmi tou-
tes ces étoiles que tu vois, il y en a qui n'exis-
tent plus depuis longtemps, et pourtant, elles
brillent pour nous.
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