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Citations sur White (61)

Avec de moins en moins d’entreprises aux commandes du spectacle, les camarades avaient besoin d’adhérer à leur nouveau règlement : sur l’humour, sur la liberté d’expression, sur ce qui est drôle et ce qui est offensant. Les artistes – ou plutôt, dans le jargon local, les créatifs, comme la ville aimait les appeler – ne devaient plus repousser les limites, passer du côté de l’ombre, explorer les tabous, faire des plaisanteries déplacées ou avancer des opinions anticonformistes. Nous pouvions le faire, mais pas si nous voulions nourrir nos familles. Cette nouvelle politique exigeait de vous que vous viviez dans un monde où personne n’était jamais offensé, où tout le monde était toujours gentil et aimable, où les choses étaient toujours sans tache et asexuées, et même sans genre, de préférence – et c’est à ce moment-là que je me suis vraiment inquiété, avec des entreprises qui entendaient exercer leur contrôle non seulement sur ce que vous disiez, mais aussi sur vos pensées et sur vos impulsions, et même sur vos rêves. En raison de cette influence accrue de l’entreprise, avec les règles de l’Empire revenant à présent en jeu, les publics allaient-ils être en mesure de consommer du matériel non autorisé ou flirtant dangereusement avec la transgression, l’hostilité, le politiquement incorrect, la marginalité, les limites de la diversité et de l’inclusion forcées, n’importe quelle sexualité, ou quoi que ce soit qui pourrait être maudit par le désormais universel « déclencheur » ? Les publics étaient-ils prêts pour le lavage de cerveau, ou bien celui-ci avait-il déjà eu lieu ? Comment des artistes pouvaient-ils s’épanouir tout en étant terrifiés à l’idée de s’exprimer comme ils l’entendaient, à l’idée de prendre des risques créatifs qui dansaient parfois à la marge du bon goût ou même du blasphème, particulièrement en incluant les risques qui les autorisaient à se mettre dans la peau d’un autre, sans être accusés d’appropriation culturelle ? Prenez, par exemple, une actrice qui se voit refuser un rôle qu’elle voulait obtenir désespérément parce que – prenez une grande aspiration – elle n’était pas déjà exactement ce personnage. Les artistes n’étaient-ils pas supposés résider ailleurs, n’importe où, loin d’un lieu sûr et allergique au risque, loin d’un endroit où la tolérance zéro est l’exigence première et absolue ? Cela paraissait, à la fin de l’été 2018, non seulement une indication fort laide de l’avenir, mais l’ordre cauchemardesque du nouveau monde. Et l’exagération dont j’accusais les autres, je m’en rendais compte, je la formulais moi-même à présent – et je ne pouvais pas m’en empêcher.
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Mais, pendant l’été 2018, qui vous souteniez politiquement déterminait à quelle fête ou à quelle table vous seriez invité, ou bien, comme l’a appris le porte-parole de la Maison-Blanche en juin, dans quel restaurant vous seriez autorisé à dîner. C’était devenu, pour certains d’entre nous, une forme inacceptable de « résistance » – une chose qui, après trois ans ou presque d’ascendance de Trump, sentait le moisi, était absurde, de mauvaise foi. Éviter ceux qui ne pensent pas comme vous était devenu, au-delà de la protestation et de la résistance, une forme infantile de fascisme, et il était de plus en plus difficile d’accepter ces tactiques d’exclusion. Les points de vue politiques différents étaient jugés immoraux, racistes et misogynes. Ces cris constants des inconsolables étaient, pour moi, plus que pénibles : un bourdonnement suraigu qui ne déplaçait jamais l’aiguille. J’imaginais qu’on pouvait ne pas aimer les choix politiques de quelqu’un ou même sa vision du monde, mais qu’on pouvait en tirer quelque chose d’utile et poursuivre ensuite son chemin. Si vous regardez tout par la seule lorgnette de votre parti ou de votre affiliation, si vous êtes capable de rester dans une pièce où ne se trouvent que des gens pensant comme vous et votant comme vous, cela ne fait-il pas de vous une personne dépourvue de curiosité qui simplifie à l’excès, passive-agressive, convaincue d’être au pinacle de la moralité supérieure, sans jamais vous demander si vous n’êtes pas, aux yeux des autres, en son tréfonds ?
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Toutefois, mon ami et moi étions tous les deux parfaitement conscients de résider assez confortablement dans ce qui était à présent étiqueté bulle de l’homme blanc privilégié. Peut-être que, sous certains angles, c’était vrai, mais je ne considérais pas le fait d’être blanc ou d’être mâle comme des aspects déterminants de mon identité – ou du moins n’en avais pas été particulièrement conscient (un fait, soit dit en passant, contre lequel je ne pouvais rien). Avec des millions d’autres hommes blancs, j’étais constamment rappelé à l’ordre par une certaine faction : nous devrions nous définir par notre identité blanche parce que c’était en soi le problème réel. En réalité, cette faction l’exigeait, sans se soucier de reconnaître qu’une politique identitaire quelconque était peut-être la pire idée à suggérer dans la culture d’aujourd’hui, certainement celle qui encourage l’expansion des organisations séparatistes et suprématistes. En général, la politique identitaire approuve l’idée que les peuples sont essentiellement des tribus et que nos différences sont irréconciliables, ce qui naturellement rend la diversité et l’inclusion impossibles. C’est l’impasse toxique de la politique identitaire. C’est un piège.
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Une légère panique tourbillonnante s’est installée alors que nous quittions la salle d’examen pour aller dans la salle d’attente, où chacun se tenait sous un écran de télévision fixé au mur et regardait la fumée s’élever des tours, tous pétrifiés par la confusion et sentant que quelque chose n’allait vraiment pas. Je suis parti rapidement des Zeckendorf et j’ai parcouru les deux blocs qui me séparaient de l’appartement de 13th street et je n’oublierai jamais à quel point le ciel était d’une pureté de cristal, d’un bleu démentiel, ce matin-là au-dessus des arbres d’Union Square Park. Dans mon appartement, j’ai regardé les tours s’effondrer à la télévision, pendant que j’étais au téléphone avec ma mère qui m’avait appelé de Los Angeles. J’ai ressenti, pour une des rares fois de ma vie, une peur réelle et incontrôlable ce jour-là, une sorte de terreur glaciale à l’idée que tout pouvait arriver, tout était permis, que ce qui s’était passé dans la matinée ouvrait une porte tout à fait nouvelle et que tout échappait à tout contrôle. Je l’ai ressenti aussi comme le paroxysme de tout ce que j’avais vécu pendant l’été 2001.
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Ce désir particulier – le désir de rester un enfant à jamais – me frappe comme un aspect déterminant de la vie américaine aujourd’hui : un sentiment collectif qui s’impose face à la neutralité des faits et du contexte. Ce récit concerne la façon dont nous souhaitons voir le monde fonctionner par opposition à la déception que la vie quotidienne nous inflige, et il nous aide à nous protéger non seulement du chaos de la réalité, mais aussi de nos propres échecs personnels.
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Pendant l’hiver 2017, une semaine avant l’inauguration de Trump, j’étais à Londres pour une conversation au Royal Institute of Great Britain quand le modérateur m’a demandé ce que je pensais de l’« horreur sans fin » qui déferlait à présent sur les États-Unis. J’ai dû l’interrompre et clarifier en disant que ce récit apocalyptique au sujet de l’élection et du nouveau président n’était en réalité que ça, un récit, et simplement un reflet de la vaste épidémie de dramaturgie alarmiste et catastrophiste que les médias américains encourageaient. J’ai rappelé au modérateur qu’en dépit de ce que lui ou moi pensions de Trump, près de la moitié de ceux qui avaient voté étaient heureux, d’une façon ou d’une autre, des résultats de l’élection de 2016. Après que j’ai dit ce que je viens d’écrire, vous auriez pu entendre une mouche voler dans la salle pleine à craquer.
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La femme que je connaissais depuis dix ans m’a envoyé un texto plus tard, ce dimanche, et m’a dit avoir ri en voyant le tweet, mais elle m’a aussi recommandé de ne jamais mentionner qui était présent à ce dîner. Son business était installé à Hollywood et qui sait ce qui pouvait se passer dans ce climat de dissension; elle avait remarqué que les gens étaient extrêmement hystériques, et défendre ses convictions n’en valait pas la peine. Quelle horrible façon de vivre, ai-je pensé. Me comporter comme ça me ficherait un stress pas possible et m’épuiserait, en tant qu’écrivain qui se considérait comme un libéral, et en tant que défenseur de la liberté d’expression, et en tant que partisan du droit à s’exprimer comme on l’entend et de la manière qu’on veut. J’avais affaire à présent à un nouveau genre de libéralisme, qui censurait délibérément les gens et réprimait les voix, entravait les opinions et barrait les points de vue. Cet « illibéralisme » devenait la norme de manière alarmante, dans les médias, à Hollywood et, pendant un temps, nulle part plus furieusement que sur les campus universitaires en 2017, mais cela semblait constituer le point de rupture pour tout le monde. L’ironie a été amplifiée quand les étudiants – et l’administration elle-même, semble-t-il – ont rejeté des intervenants conservateurs à Berkeley, l’université considérée autrefois comme le bastion de la liberté d’expression en Amérique, et alors qu’il n’y avait pas une chance de tisser cet événement dans un récit emblématique pour la gauche ou la résistance, ou pour qui que ce soit d’autre. Tout cela était tout simplement embarrassant et vous pouviez même sentir l’hésitation des médias traditionnels à couvrir l’histoire.
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La souffrance et la victimisation de soi continuaient de plus belle au printemps 2017, ce que j’ai noté à un autre dîner avec deux amis que je n’avais pas vus depuis l’élection – deux hommes d’une soixantaine d’années et dans le secret de plusieurs vastes fortunes. Nous venions de commander des verres quand l’un d’eux a murmuré sombrement à propos d’un truc sur lequel Trump avait « déconné » ce jour-là. Quand j’ai répliqué quelque chose d’évasif sur l’événement du jour ou peut-être émis une opinion qui plaçait la « connerie » dans un autre contexte, les deux ont complètement pété les plombs et sont devenus furieux, s’en prenant à moi comme jamais je ne les avais vus faire auparavant. Je connaissais l’un d’eux depuis plus de trente ans – j’avais vingt et un ans quand nous nous étions rencontrés – et je ne l’avais jamais vu à ce point apoplectique et, pris dans un tourbillon d’amour-propre et d’indignation moralement supérieurs, il s’est mis à me faire la leçon jusqu’à ce que, acculé, je finisse par dire « OK, laissez tomber, vous avez raison, vous avez tous les deux raison, oublions tout ça ». Plus tard, après que les deux hommes avaient été d’accord pour dire que Trump n’avait pas gagné l’élection, j’ai mentionné le collège électoral – et ils ont immédiatement répliqué que le collège électoral ne devrait pas compter non plus. L’un d’eux a même dit que c’était « n’importe quoi » et que Los Angeles et New York devaient déterminer qui était le « putain de président ». Il a même grogné : « Je ne veux pas que des foutus péquenots décident qui devrait être le président. Je suis fier de faire partie de l’élite libérale de la côte et je pense que nous devrions désigner le président parce que nous en savons plus. » J’avais le sang glacé ou du moins j’ai eu froid dans le dos quand j’ai entendu ça.
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Barbra Streisand avait déclaré aux médias qu’elle prenait du poids à cause de Trump. Lena Dunham avait déclaré aux médias qu’elle perdait du poids à cause de Trump. Partout, des gens blâmaient le président pour leurs problèmes et leurs névroses. Cela s’était produit de nouveau lorsque Meryl Streep avait accepté, en janvier 2017, son « lifetime achievement » aux Golden Globes, et plutôt que de rendre hommage à tous les réalisateurs avec qui elle avait travaillé et qui étaient morts au cours de ces dernières années (Michael Cimino, Mike Nichols, Nora Ephron) ou – particulièrement – d’évoquer ce qu’avait été le travail avec Carrie Fisher dans Postcards From the Edge, puisque Fisher était morte deux semaines auparavant, elle avait saisi cette opportunité pour tempêter contre Trump pendant dix minutes. Plutôt que de faire le panégyrique de son amie, elle avait réaffirmé la nouvelle moralité supérieure d’entreprise et ignoré l’esthétique pour promouvoir sa propre idéologie.
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Durant l’été 2015 quelque chose a commencé à me distraire, quelque chose de curieux se produisait, quelque chose qui n’avait pas l’air juste : les journaux grand public que j’avais lus et en qui j’avais eu en grande partie confiance pendant toute ma vie d’adulte, des institutions traditionnelles comme le New York Times et CNN, ne couvraient plus ce qui me faisait l’effet d’être une réalité mouvante. La disparité entre ce que je voyais sur le terrain – à travers les réseaux sociaux et d’autres sources d’information, et tout simplement grâce à mes yeux et mes oreilles – et ce que les organisations grand public couvraient est devenue une évidence absolue, comme jamais auparavant. Soudain, j’ai prêté attention à une campagne présidentielle, ce qui était – historiquement – quelque chose que je n’avais jamais fait. Et c’est à cause de la façon dont les médias, avec une ignorance extrême, avaient décidé de couvrir Trump. Un farceur venait de faire son apparition – un perturbateur bien réel – et la presse était déconcertée. Le perturbateur ne suivait aucune règle, il n’obéissait pas au moindre protocole, il n’était pas un homme politique, il n’en avait rien à foutre. Il était comme le Joker dans The Dark Knight : Le Chevalier noir, ce qui le rendait si effrayant pour certains était le fait qu’il n’avait pas besoin (du moins apparemment) de l’argent de qui que ce soit et n’en demandait pas. Il insultait tout le monde et ses insultes les plus radicales s’adressaient à des hommes blancs, figures de l’establishment – pas seulement aux musulmans, aux femmes et aux Mexicains. La machine à insultes de Trump était dirigée contre tous ceux avec qui il avait des problèmes, et les Blancs y ont eu droit en premier et plus radicalement que les autres, toutefois les journalistes accrédités ont expliqué que ce n’était pas le cas. Trump incarnait l’antithèse emblématique de la fière supériorité morale de la gauche, définie à jamais par le commentaire de Clinton sur le « panier de gens lamentables », ainsi que par la remarque haletante et condescendante de Michelle Obama sur le fait que « lorsqu’ils s’abaissent, nous nous élevons » – toutes les deux approuvées par les médias traditionnels.
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