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Citations sur Retour à Reims (197)

Quand j'étais lycéen et gauchiste (trotskiste), mon père ne cessait de tempêter contre les "étudiants" qui "veulent nous dire ce qu'il faut faire" et qui "dans dix ans viendront nous commander". Aussi intransigeante qu'épidermique, sa réaction me paraissait alors contraire aux "intérêts historiques de la classe ouvrière" et due à l'emprise sur celle-ci du vieux Parti communiste mal destalinisé et soucieux avant tout d'entraver la marche inéluctable de la révolution. Comment pourrais-je désormais penser que mon père avait tort? Quand on voit ce que sont devenus ceux qui prônaient la guerre civile et se grisaient de la mythologie de l'insurrection prolétarienne!
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Le goût pour l’art s’apprend. Je l’appris. Cela fait partie de la rééducation quasi complète de moi-même qu’il me fallut accomplir pour entrer dans un autre monde, une autre classe sociale – et pour mettre à distance celui, celle d’où je venais. L’intérêt pour la chose artistique ou littéraire participe toujours, consciemment ou non, d’une définition valorisante de soi par différenciation d’avec ceux qui n’y ont pas accès, d’une “distinction” au sens, constitutif de soi et du regard que l’on porte sur soi-même, par rapport aux autres – les classes “inférieures”, “sans culture”.
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À cette époque, mon père était ouvrier – au plus bas de l’échelle ouvrière – depuis longtemps déjà. Il n’avait pas encore 14 ans (puisque l’école s’arrêtait fin juin, il commença à travailler aussitôt, et il n’eut 14 ans que trois mois plus tard) quand il était entré dans ce qui allait constituer le décor de sa vie et le seul horizon qui puisse s’offrir à lui. L’usine l’attendait. Elle était là pour lui ; il était là pour elle. Comme elle attendrait ses frères et ses sœurs, qui l’y suivraient. Comme elle attendait et attend toujours ceux qui naissaient et naissent dans des familles socialement identiques à la sienne. Le déterminisme social exerça son emprise sur lui dès sa naissance. Il n’échappa pas à ce à quoi il était promis par toutes les lois, tous les mécanismes de ce que l’on ne peut appeler autrement que la « reproduction ».
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Cela ne signifie évidemment pas que l'extrême gauche serait à placer sur le même plan que l'extrême droite, comme sont prompts à le proclamer ceux qui entendent protéger leur monopole sur la définition de la politique légitime en taxant systématiquement de « populisme » tout point de vue et toute affirmation de soi échappant à cette définition, quand une telle accusation ne renvoie à rien d'autre qu'à leur incompréhension - de classe - devant ce qu'ils considèrent comme l’« irrationalité» du peuple lorsqu'il ne consent pas à se soumettre à leur « raison » et à leur « sagesse ».
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Je pourrais écrire, en m’inspirant de la prose métaphorique et fleurie de Genet, qu’il arrive un moment où l’on transmue les crachats en roses, les attaques verbales en une guirlande de fleurs, en rayons de lumière. Bref, un moment où la honte se transforme en orgueil… Et cet orgueil est politique de part en part, puisqu’il défie les mécanismes les plus profonds de la normalité et de la normativité. On ne reformule donc pas ce qu’on est à partir de rien : on accomplit un travail lent et patient pour façonner son identité à partir de celle qui nous a été imposée par l’ordre social. C’est pourquoi on ne s’affranchit jamais de l’injure, ni de la honte. 
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Et c'est en grande partie contre ce discours freudo-marxiste et, plus généralement, contre le marxisme et la psychanalyse que Foucault entreprendra d'écrire, au milieu des années 1970, son Histoire de la sexualité, avec l'intention, notamment d'y forger une nouvelle approche de la question du pouvoir et de la transformation sociale : il entendait débarrasser la pensée critique et la radicalité émancipatrice non seulement du freudo-marxisme, mais aussi, et avec tout autant de fermeté, du marxisme et de la psychanalyse, de l'"hypothèse communiste", et de l'hypothèque lacanienne. Comment dès lors, soit dit en passant, ne pas déplorer la sinistre régression que représente le retour sur la scène intellectuelle aujourd'hui de ces vieux dogmatismes figés et stérilisants, et, bien sûr, très souvent hostiles au mouvement gay et aux mouvement sexuels en général ? - un retour qui semble avoir été produit et appelé comme son envers solidaire dans un même paradigme politique par le moment réactionnaire que nous traversions depuis de longues années déjà.
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« C’est qui ? » ai-je demandé à ma mère. « Mais… c’est ton père, me répondit-elle, tu ne le reconnais pas ? C’est parce que tu ne l’avais pas vu depuis longtemps. » En effet, je n’avais pas reconnu mon père sur cette photo, prise quelque temps avant sa mort. Amaigri, recroquevillé sur lui-même, le regard perdu, il avait affreusement vieilli, et il me fallut quelques minutes pour faire coïncider l’image de ce corps affaibli avec l’homme que j’avais connu, vociférant à tout propos, stupide et violent, et qui m’avait inspiré tant de mépris. En cet instant, j’éprouvai un certain trouble, comprenant que, dans les mois, les années peut-être, qui avaient précédé sa mort, il avait cessé d’être la personne que j’avais détestée pour devenir cet être pathétique : un ancien tyran domestique déchu, inoffensif et sans forces, vaincu par l’âge et la maladie.

En relisant le beau texte de James Baldwin sur la mort de son père, une remarque m’a frappé. Il raconte qu’il avait repoussé le plus longtemps possible une visite à celui-ci, qu’il savait pourtant très malade. Et il commente : « J’avais dit à ma mère que c’était parce que je le haïssais. Mais ce n’était pas vrai. La vérité, c’est que je l’avais haï et que je tenais à conserver cette haine. Je ne voulais pas voir la ruine qu’il était devenu : ce n’est pas une ruine que j’avais haïe. »

Et plus frappante encore m’a paru l’explication qu’il propose : « J’imagine que l’une des raisons pour lesquelles les gens s’accrochent de manière si tenace à leurs haines, c’est qu’ils sentent bien que, une fois la haine disparue, ils se retrouveront confrontés à la douleur. »
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À cette époque, mon père était ouvrier – au plus bas de l’échelle ouvrière – depuis longtemps déjà. Il n’avait pas encore 14 ans (puisque l’école s’arrêtait fin juin, il commença à travailler aussitôt, et il n’eut 14 ans que trois mois plus tard) quand il était entré dans ce qui allait constituer le décor de sa vie et le seul horizon qui puisse s’offrir à lui. L’usine l’attendait. Elle était là pour lui ; il était là pour elle. Comme elle attendrait ses frères et ses sœurs, qui l’y suivraient. Comme elle attendait et attend toujours ceux qui naissaient et naissent dans des familles socialement identiques à la sienne. Le déterminisme social exerça son empire sur lui dès sa naissance. Il n’échappa pas à ce à quoi il était promis par toutes les lois, tous les mécanismes de ce que l’on ne peut appeler autrement que la « reproduction ».
Les études de mon père n’allèrent donc pas au-delà de l’école primaire. Nul n’y aurait songé, d’ailleurs. Ni ses parents ni lui-même. Dans son milieu, on allait à l’école jusqu’à 14 ans, puisque c’était obligatoire, et on quittait l’école à 14 ans, puisque ça ne l’était plus. C’était ainsi. Sortir du système scolaire n’apparaissait pas comme un scandale. Au contraire ! Je me souviens que l’on s’indigna beaucoup dans ma famille quand la scolarité fut rendue obligatoire jusqu’à 16 ans : « À quoi ça sert d’obliger des enfants à continuer l’école si ça ne leur plaît pas, alors qu’ils préféreraient travailler ? » répétait-on, sans jamais s’interroger sur la distribution différentielle de ce « goût » ou de cette « absence de goût » pour les études. L’élimination scolaire passe souvent par l’autoélimination, et par la revendication de celle-ci comme s’il s’agissait d’un choix : la scolarité longue, c’est pour les autres, ceux « qui ont les moyens » et qui se trouvent être les mêmes qui ceux à qui « ça plaît ». Le champ des possibles – et même celui des possibles simplement envisageables, sans parler de celui des possibles réalisables – est étroitement circonscrit par la position de classe. C’est comme s’il y avait une étanchéité presque totale entre les mondes sociaux. Les frontières qui séparent ces mondes définissent, à l’intérieur de chacun d’eux, des perceptions radicalement différentes de ce qu’il est imaginable d’être et de devenir, de ce à quoi on peut aspirer ou non : on sait que, ailleurs, il en va autrement, mais cela se passe dans un univers inaccessible et lointain, et l’on ne se sent donc ni exclu ni même privé de quoi que ce soit lorsqu’on n’a pas accès à ce qui constitue dans ces régions sociales éloignées la règle tout aussi évidente. C’est l’ordre des choses, voilà tout. Et l’on ne voit pas comment fonctionne cet ordre, car cela nécessiterait de pouvoir se regarder soi-même de l’extérieur, d’adopter une vue en surplomb sur sa propre vie et sur celle des autres. Il faut être passé, comme ce fut mon cas, d’un côté à l’autre de la ligne de démarcation pour échapper à l’implacable logique de ce qui va de soi et apercevoir la terrible injustice de cette distribution inégalitaire des chances et des possibles. Cela n’a guère changé, d’ailleurs : l’âge de l’exclusion scolaire s’est déplacé, mais la barrière sociale entre les classes reste la même. C’est pourquoi toute sociologie ou toute philosophie qui entend placer au cœur de sa démarche le « point de vue des acteurs » et le « sens qu’ils donnent à leurs actions » s’expose à n’être rien d’autre qu’une sténographie du rapport mystifié que les agents sociaux entretiennent avec leurs propres pratiques et leurs propres désirs et, par conséquent, à n’être rien de plus qu’une contribution à la perpétuation du monde tel qu’il est : une idéologie de la justification (de l’ordre établi). Seule une rupture épistémologique avec la manière dont les individus se pensent eux-mêmes spontanément permet de décrire, en reconstituant l’ensemble du système, les mécanismes par lesquels l’ordre social se reproduit, et notamment la façon dont les dominés ratifient la domination en élisant l’exclusion scolaire à laquelle ils sont voués. La force et l’intérêt d’une théorie résident précisement dans le fait qu’elle ne se satisfait jamais d’enregistrer les propos que les « acteurs » tiennent sur leurs « actions », mais qu’elle se donne au contraire pour objectif de permettre aux individus et aux groupes de voir et de penser différemment ce qu’ils sont et ce qu’ils font, et peut-être, ainsi, de changer ce qu’ils font et ce qu’ils sont. Il s’agit de rompre avec les catégories incorporées de la perception et les cadres institués de la signification, et donc avec l’inertie sociale dont ces catégories et ces cadres sont les vecteurs, afin de produire un nouveau regard sur le monde, et donc d’ouvrir de nouvelles perspectives politiques.
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Au fond, on pourrait résumer la situation en disant que les partis de gauche et leurs intellectuels de parti et d'Etat pensèrent et parlèrent désormais un langage de gouvernants et non plus le langage des gouvernés, s'exprimèrent au nom des gouvernants (et avec eux) et non plus au nom des gouvernés (et avec eux), et donc qu'ils adoptèrent sur le monde un point de vue de gouvernants en repoussant avec dédain (avec une grande violence discursive, qui fut éprouvée comme telle par ceux sur qui elle s'exerça) le point de vue des gouvernés.
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Le capital social (...) tout concourt à donner au diplôme sa véritable valeur sur le marché du travail.
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