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Citations sur Le jeune homme (94)

Soumis à la précarité et à l'indigence des étudiants pauvres — ses parents endettés vivaient en proche banlieue parisienne sur un salaire de secrétaire et un contrat emploi solidarité — il n'achetait que les produits les moins chers ou en promotion, de la Vache qui rit en portions et du camembert à cinq francs. Il allait jusqu'à Monoprix acheter sa baguette de pain parce qu'elle coûtait cinquante centimes moins cher qu'à la boulangerie voisine. Il avait spontanément les gestes et les réflexes dictés par un manque d'argent continuel et hérité. Une forme de débrouillardise permettant de s'en sortir au quotidien. Rafler, dans l'hypermarché, une poignée d'échantillons de fromage dans l'assiette tendue par la démonstratrice. A Paris, pour pisser sans payer, entrer avec détermination dans un café, repérer les toilettes et ressortir ensuite avec désinvolture. Regarder l'heure aux parcmètres (il n'avait pas de montre), etc. Il jouait au Loto sportif chaque semaine, attendant, comme il est naturel au cœur de la nécessité, tout du hasard : « Je gagnerai un jour, c'est forcé. » En fin de matinée, le dimanche, il regardait Téléfoot avec Thierry Roland. Le moment juste où le footballeur marque un but et où toute la foule du Parc des Princes se lève, l'acclame, était pour lui l'image du bonheur absolu. Cette pensée lui donnait même des frissons.

Pages 17-19, Gallimard.
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Mon corps n'avait plus d'âge. Il fallait le regard lourdement réprobateur de clients à côté de nous dans un restaurant pour me le signifier. Regard qui, bien loin de me donner de la honte, renforçait ma détermination à ne pas cacher ma liaison avec un homme « qui aurait pu être mon fils » quand n'importe quel type de cinquante ans pouvait s'afficher avec celle qui n'était visiblement pas sa fille sans susciter aucune réprobation. Mais je savais, en regardant ce couple de gens mûrs, que si j'étais avec un jeune homme de vingt-cinq ans, c'était pour ne pas avoir devant moi, continuellement, le visage marqué d'un homme de mon âge, celui de mon propre vieillissement. Devant celui d'A., le mien était également jeune. Les hommes savaient cela depuis toujours, je ne voyais pas au nom de quoi je me le serais interdit.

Page 27, Gallimard.
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Sa jalousie extrême il m'accusait d'avoir reçu un homme chez moi parce que la lunette des toilettes était relevée — rendait inutile de douter de sa passion pour moi et absurde ce reproche que je soupçonnais ses copains de lui avoir lancé, comment peux-tu sortir avec une femme ménopausée ?
Il me vouait une ferveur dont, à cinquante-quatre ans, je n'avais jamais été l'objet de la part d'un amant.

Page 17, Gallimard.
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Il m'emmenait au Bureau, au Big Ben, des cafés fréquentés par les jeunes. Il m'invitait au Jumbo. Sa radio préférée était Europe 2. Tous les soirs il regardait Nulle part ailleurs. Dans les rues, les gens qu'il saluait étaient toujours des jeunes, souvent des étudiants. Quand il s'arrêtait pour leur parler, je me tenais à l'écart, ils me regardaient furtivement. Après, il me racontait le parcours universitaire de celui que nous avions croisé, détaillant ses réussites ou ses échecs. Quelquefois, de loin, avec discrétion, en me demandant de ne pas me retourner, il me signalait un prof de sa fac de lettres. Il m'arrachait à ma génération mais je n'étais pas dans la sienne.

Pages 16-17, Gallimard.
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Un dimanche, à Fécamp, sur la jetée près de la mer, nous marchions en nous tenant par la main. D’un bout à l’autre nous avons été suivis par tous les yeux des gens assis sur la bordure de béton longeant la plage. A. m’a fait remarquer que nous étions plus inacceptables qu’un couple homosexuel.
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De plus en plus, il me semblait que je pourrais entasser des images, des expériences, des années, sans plus rien ressentir d’autre que la répétition elle-même.
J’avais l’impression d’être éternelle et morte à la fois, comme l’est ma mère dans ce rêve que je fais souvent et au réveil je suis sûre pendant quelques instants qu’elle vit réellement sous cette double forme.
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Chez moi, il endossait le peignoir à capuche qui avait enveloppé d’autres hommes. Lorsqu’il le portait, je ne revoyais jamais l’un ou l’autre d’entre eux. Devant le tissu-éponge gris clair j’éprouvais seulement la douceur de ma propre durée et de l’identité de mon désir.
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Il m’arrachait à ma génération mais je n’étais pas dans la sienne.
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"Il jouait au Loto sportif chaque semaine, attendant, comme il est naturel au cœur de la nécessité, tout du hasard : "je gagnerai un jour, c'est forcé.""
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On était en automne, le dernier jour du vingtième siècle. Je me découvrais heureuse d’entrer seule et libre dans le troisième millénaire.
(page 38)
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