Citations sur Les oreilles de Buster (113)
Ce carnet vierge m’a donc été offert par Anna-Clara, la plus jeune et la plus caractérielle de mes petits-enfants. C’est la raison pour laquelle j’apprécie tant cette petite. Parce qu’elle est considérée comme une enfant difficile. Alors que ses aînés Per et Mari sont joyeux et communicatifs – des âmes simples aux yeux pleins de bonté – Anna-Clara est renfermée, sombre et tranchante. Elle ouvre rarement la bouche. Quand elle le fait, c’est généralement laconique. Je peux avoir le pain ? Tu peux me verser du sirop ? Je peux aller lire dans la chambre ?
Aussi loin que je me souvienne, elle m’a toujours demandé la permission de se retirer pour lire. Quand j’acquiesce, comme je le fais immanquablement, elle monte dans ma chambre et s’installe à côté de la table de chevet encombrée de bouquins et de vieux journaux. Pendant que nous autres continuons à bavarder à table, autour d’un thé ou d’un dîner accompagné de bon vin, elle se plonge dans la lecture avec une obstination et une faculté de concentration que je lui envie. Je ne lui ai jamais exprimé mon admiration, cela pourrait paraître condescendant. Mais elle sait bien qu’au fond, mon consentement est aussi une approbation. Voilà pourquoi j’adore Anna-Clara. Elle n’a pas besoin de mots pour être soi-même.
Quel est le goût de l'effroi ? L'odeur de la peur ? La sensation d'une chute sans fin ? Qu'advient-il des larmes qui ne quittent pas le corps ? Nappent-elles de givre ses parois internes, de manières à ce que les organes gèlent et finissent par s'arrêter, sombrant lentement dans l'ultime repos ? Où finissent les mots qui traversent l'esprit sans être prononcés ? Existe-t-il un dépôt où s'entassent les souhaits inexprimés ? Peut-on respirer une fois de trop ?
Avant de quitter mon corps, il y a de cela presque quarante ans, elle a dû laisser une empreinte en moi, un duplicata de sa vie affective, un décalque sans cesse remis à jour (p171)
Et je sais que la nature n'est jamais mieux servie que par elle-même. elle sait panser ses propres plaies, tant qu'il ne s'agit pas d'une cause perdue.
Elle peut se montrer cruelle, certes, mais ses fourberies ne sont jamais conscientes. Personne ne décide des mouvements du vent, aucune main ne gouverne le soleil lorsqu'il se cache derrière les nuages. En ce qui concerne les êtres humains, c'est autre chose. Pour ma part, je n'avais que sept ans lorsque l'odeur fétide de la perfidie est devenue si insupportable que j'en suis venue à projeter le meurtre de ma mère. (p. 34)
Aujourd’hui, elle a donc passé le plus clair des festivités enfermée dans ma chambre en train de lire. Elle s’est hissée dans mon lit, a placé un oreiller derrière son dos, enroulé mon plaid jaune autour de ses jambes, posé sa part de gâteau et son verre de sirop sur la table de chevet, et avalé méthodiquement un journal après l’autre : les colonnes nécrologiques sans bavures des conflits armés dans la presse du matin ; les enquêtes criminelles et les rubriques mondaines dans celle du soir. Quel âge a-t-elle maintenant ? Huit ans, bientôt neuf ? Sa soif de lecture est certainement digne d’éloges. D’ailleurs, on ne manque pas de la souligner dès que l’occasion se présente, puisqu’il n’y a rien d’autre à dire. « Per a marqué trois buts au match de foot vendredi, Mari a joué de la flûte au spectacle de fin d’année, les arbres bourgeonnent et Anna-Clara… c’est incroyable, ce qu’elle peut lire ! Elle aura bientôt dévoré tous ce que nous avons à la maison et après, ce sera au tour de la bibliothèque communale. Ça lui ressemblerait. Parcourir systématiquement une étagère après l’autre, un livre après l’autre, phrase après phrase, mot après mot. Elle lit vraiment énormément, Anna-Clara. » Puis le silence.
[La nature] peut se montrer cruelle, certes, mais ses fourberies ne sont jamais conscientes. Personne ne décide des mouvements du vent, aucune main ne gouverne le soleil lorsqu'il se cache derrière les nuages. En ce qui concerne les êtres humains, c'est autre chose. Pour ma part, je n'avais que sept ans lorsque l'odeur fétide de la perfidie est devenue si insupportable que j'en suis venue à projeter le meurtre de ma mère. (p. 28)
De toute façon, il faut se méfier des surfaces lisses. En regardant d'un peu plus près, on y découvre des cratères.
Page 296 : La confiance en soi, c’est au rayon frais, ça moisit très vite.
je ne saurai leur expliquer à quel point les roses sont faciles. Boudeuses, peut-être, mais c'est tellement plus simple d'aimer une rose qu'une mère. Il suffit de faire un effort, et on en est mille fois récompensé. Les soins et l'amour donnent des résultats visibles. (p. 415-416)
J'ai acquiescé et je suis sortie. En chemin, je me suis rendu compte que je quittais des gens que j'avais connus pendant de longues années sans rien savoir d'essentiel sur eux. (Babel, 2013, p. 354)