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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Si l'on devait user d'un mot pour qualifier le mode narratif dominant utilisé par l'américain Brian Evenson, ce serait certainement le mot « fissure. »
Son horreur, tout autant psychologique que physique, procède d'un lent processus d'altération du réel, l'auteur « fissurant » ce que l'on prend pour acquis et contemplant la psyché de ses personnages s'effondrer sur elle-même à mesure que ladite fissure s'élargit.
La chose était évidente dans son premier roman, Père des Mensonges, qui voyait Elden Fochs, homme d'Église et père de famille, basculer dans les tréfonds de l'horreur et de la dépravation. Cette tendance à corner le réel et à acculer ses personnages dans un mécanisme implacable menant tout droit à la folie se retrouvait également dans nombre de ses nouvelles issues de son premier ouvrage, La langue d'Altmann. Il est donc normal (et attendu) de retrouver le même procédé pour Inversion, certainement l'un des romans les plus connus de Brian Evenson…et l'un de ses plus radicaux avec La Confrérie des Mutilés.

Une partie manquante de moi
Écrit en 2006, Inversion est le tout premier livre traduit en langue française de Brian Evenson par Julie et Jean-René Etienne dans la cultissime collection Lot 49 du Cherche-Midi. Curieusement, son titre français ne rend pas particulièrement honneur à sa version originale bien plus évocatrice : The Open Curtain. Mais qu'à cela ne tienne puisqu'Inversion est une expérience de lecture qu'on n'oublie pas.
Reprenons du début : Rudd Theurer est un adolescent plutôt fragile et effacé lorsqu'il tombe sur ce qu'il pense être la preuve de l'existence d'un demi-frère dans les affaires de son père mort conservées à la cave par sa mère. Éconduit par celle-ci lorsqu'il lui parle de cette découverte, Rudd va se mettre à ressasser encore et encore cette information jusqu'à découvrir que son demi-frère, Lael, habite en fait à Springville non loin de son propre domicile. Dans le même temps, Rudd doit rendre un devoir à propos d'un héros d'une époque qui le fascine. Mais malheureusement, Rudd n'a pas de héros à qui s'identifier (normal puisque pour beaucoup de garçons, le père fait office de premier héros). Privé de ce repère fondamental et profondément secoué par les secrets que garderait sa mère à propos de son demi-frère, il tombe sur la sinistre histoire d'un certain William Hooper Young qui, en 1903 à New-York, aurait assassiné une jeune fille, Anna Nilsen Pulitzer. Comble de l'horreur pour le jeune garçon, William était non seulement le petit-fils de l'un des fondateurs de l'Église mormone mais aurait, en plus, tué selon un obscur rite inavouable de cette même religion appelé « l'expiation par le sang. »
…Et si c'est un comble, c'est parce que Rudd est lui-même mormon !
Dès lors, les choses vont peu à peu se fissurer dans l'esprit du jeune homme et l'on sent, petit à petit, que la logique de Rudd s'altère à mesure que des mantras pervers envahissent ses pensées. Brian Evenson nous emmène graduellement dans une spirale horrifique qui ne semble avoir aucune fin.

Catalysé par la foi
Pour cela, il va employer des mots-clés, des phrases qui deviennent des sortes de formules quasi-surnaturelles pour Rudd, comme investies d'un pouvoir occulte que nous ne serions pas en mesure de percevoir.
Ce qui est important dans Inversion, c'est que rien n'est vraiment comme il semble l'être de prime abord et que les perceptions du personnage principal ne sont pas fiables…et qu'elles le seront toujours moins au fur et à mesure de la plongée dans le récit qu'il n'ous rapporte. Un récit qui semble se dédoubler avec l'investigation menée par Rudd sur l'histoire sinistre de William, comme une image de sa propre psyché en train de se briser en deux. Mais c'est la violence et la cruauté, mêlées à la propre histoire personnelle de Rudd, qui vont définitivement faire basculer l'ensemble.
On le sait, Brian Evenson est lui-même mormon et l'une des obsessions centrales de son oeuvre concerne la religion et ce que celle-ci fait à l'homme, au croyant.
Est-ce qu'elle le préserve ou est-ce qu'elle le maudit ?
Dans le cas de William, c'est clairement le second choix puisqu'au travers de la religion mormone, l'adolescent va complètement décrocher puisque noyé par les rites, les secrets, les codes et les symboles qui s'accumulent dans son esprit comme autant de pierres contre un barrage déjà prêt à s'effondrer. C'est par deux rites mormons en particulier, l'expiation par le sang et le mariage, que la fissure devient finalement une fracture puis un gouffre qui l'aspire littéralement dans une hallucination où il est désormais incapable de discerner le réel de la fiction…et de reconnaître sa propre identité !

Se protéger par le déni
Après ce qui incarne le premier basculement dans l'horreur pour le récit (et pour Rudd), Brian Evenson ouvre une seconde partie inattendue sur le personnage de Lyndi, une jeune femme amenée à rencontrer Rudd dans des circonstances pour le moins compliquées. On retrouve une nouvelle fois cette volonté de torture d'un esprit déjà fragile et confronté à une brusque rupture de sa propre réalité. Surtout, on assiste finalement à un déni inconscient du réel dans un but de protection, un peu à la façon de Rudd mais cette fois pour échapper à un évènement traumatique direct et non pour échapper à sa propre folie qui guette dans les circonvolutions de son encéphale.
Il serait vain de raconter la suite des évènements et impossible de narrer correctement la troisième et dernière partie du roman, hallucination totale et sans concession qui fait constamment glisser le tapis sous les pieds du lecteur encore désorienté. À ce stade, comme Eldon Fochs dans les dernières pages de Père des Mensonges ou comme Kline dans l'épilogue sanglant de la Confrérie des mutilés, il n'y plus de retour en arrière et plus aucune voie de secours pour le héros tombé tête la première dans la folie qui l'entoure. Inversion confond les rôles : celui de la victime et celui du bourreau, celui du héros et du criminel, celui du fou et du sain d'esprit, celui du croyant et du fanatique. Brian Evenson montre à quel point la religiosité et les rites qui l'entourent déstabilisent et peuvent facilement confiner à la folie pure et simple. Son roman, difficile et radical, à la fois par sa froideur clinique et descriptive mais aussi par sa volonté de n'ignorer aucune des failles mentales de ses héros malheureux, n'est pas pour tout le monde, loin de là. Il faut adhérer à cette dissection fiévreuse qui se fiche totalement de l'identité du tueur et pour qui le voyage mental représente le seul véritable intérêt du crime. Car c'est le chemin vers la folie, la destruction du corps par l'esprit qui intéresse l'américain avant toute autre chose et pas l'arme du crime ou sa découverte.

Comme des sables-mouvants, l'histoire d'Inversion aspire le lecteur et Rudd Theurer. Dissection glaçante d'un esprit en train de s'effondrer sur lui-même par le poids de son histoire familiale et de sa culture religieuse, le roman de Brian Evenson dérange et obsède, tel un monstre sournois et infâme terré aux confins de votre esprit prêt à se fissurer à son tour.
Lien : https://justaword.fr/inversi..
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Brian Evenson a répondu à mes questions. C'est ici :

http://bartlebylesyeuxouverts.blogspot.com/2008/07/entretien-avec-brian-evenson.html

et là :

http://fricfracclub.blogspot.com/2008/07/le-questionnaire-du-ffc-brian-evenson.html
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Histoire macabre et rituel religieux, terrifiants chemins vers "l'autre côté du rideau" de la folie.

Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/05/01/note-de-lecture-inversion-brian-evenson/
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