Ce tome est le premier de la deuxième saison consacrée à cette nouvelle itération des Ultimates ; il vaut mieux avoir lu la première saison (en 2 tomes) avant, à commencer par Ultimates: Omniversal Vol. 1: Start with the Impossible. Ce tome-ci contient les épisodes 1 à 6 de la saison II, initialement parus en 2017, écrits par
Al Ewing dessinés et encrés par
Travel Foreman. La mise en couleurs a été réalisée par
Dan Brown pour les épisodes 1 à 5, et par Matt Yackey pour l'épisode 6. Les couvertures ont été réalisées par Trave Foreman (épisode 1) et
Christian Ward (épisodes 2 à 6).
Quelque part dans une dimension qualifiée de Superflow (une réalité supérieure de rêves et de visions), Eternity (l'entité incarnant l'univers) est enchaînée, à la merci d'un ennemi inconnu, se demandant qui pourra prendre conscience de cet état. Dans la base Kadesh (au fond de la Fosse des Mariannes dans l'océan Pacifique), le docteur Adam Brashear revient progressivement à la réalité, en se déconnectant d'un appareil technologique lui permettant de simuler une vie dans un être d'énergie, comme celui de Monica Rambeau (Spectrum). Celle-ci vient de pénétrer dans son laboratoire et lui indique qu'elle a fait un rêve similaire au sien, dans lequel Eternity est enchaîné. Ils sont contactés par Anti-Man (Conner Sims) qui s'attaque à Adam Brashear (Blue Marvel) après avoir neutralisé Spectrum. Pendant ce temps-là, T'challa et Carol Danvers sont en train de prendre un café ensemble dans un diner éloigné de tout et peu fréquenté. Il est rapidement question de leur opposition pendant Civil War II, et de la raison pour laquelle T'Challa a tout fait pour saborder l'équipe des Ultimates, avec succès.
Anti-Man vient les quérir et les emmène sur Taa II, le vaisseau de Galactus, toujours dans son incarnation du porteur de vie. Il leur demande s'ils sont toujours ses alliés. Peu de temps après il y a un face-à-face avec le Tribunal Vivant, Seigneur Chaos et Maître Ordre. Pendant ce temps-là Philip Nelson Vogt (agent du gouvernement) se doute que Carol Danvers et consorts n'ont pas respecté l'injonction leur interdisant de reformer les Ultimates. Il convoque sa propre équipe des Troubleshooters : le lieutenant-colonel Dionne McQuaid, Simon Rodstow, le lieutenant Kathy Ling et le lieutenant-colonel Jim Tensen.
Lors des 12 épisodes de la première saison,
Al Ewing avait réussi à définir une lettre de mission spécifique pour cette nouvelle itération des Ultimates, sans rapport avec la version originelle. Il s'agit d'une équipe qui s'est fixé pour objectif d'apporter une solution à des problèmes ultimes dans l'univers Marvel. Leur premier succès avait été de mettre un terme à la fin dévorante de Galactus. Malgré la dissolution de l'équipe à la fin de la première saison, il restait d'autres problèmes majeurs en suspens, et l'équipe est amenée à se reformer enfreignant l'interdit qui pèse sur eux. Dès la scène d'introduction,
Al Ewing indique qu'il ne se dégonfle pas : il met en scène l'une des entités cosmiques de Marvel, l'une des incarnations d'un concept. le lecteur va donc en observer d'autres comme Living Tribunal, Lord Chaos & Master Order, et même In-Betweener et Never Queen (cette dernière crée par
Dan Slott &
Michael Allred, dans l'épisode 1 de la série Silver Surfer de 2014, voir New Dawn). À l'énoncé de tels personnages, le lecteur pense immédiatement aux sagas cosmiques réalisées par
Jim Starlin, telles que The Inifinity Gauntlet.
Ce choix de personnages s'avère à double tranchant. D'un côté, ils apportent une touche cosmique et même philosophique au récit ; de l'autre peu de scénaristes sont capables de les mettre en scène autrement que comme des manifestations sans grande épaisseur, ou comme de vulgaires individus dotés de superpouvoirs un peu bizarres. L'introduction montrant Eternity enchainée porte bien cette dimension cosmique, sans être ridicule, mais sans beaucoup de fond. le passage révélateur survient lors du dialogue entre Living Tribunal, Lord Chaos & Master Order. Ils évoquent la destruction du multivers Marvel survenue au cours de
Secret Wars (2015, par
Jonathan Hickman &
Esad Ribic). le lecteur comprend que la discussion peut s'entendre au premier degré, mais aussi comme un métacommentaire sur le rôle fixé de Galactus de dévoreur de mondes, et qu'il est hors de question d'y déroger.
Al Ewing évoque à demi-mots le conservatisme des lecteurs qui n'aiment pas le changement. Alors que la discussion se poursuit, Chaos & Ordre remettent en cause l'ordre établi du fait de cette destruction, et il suggère une autre forme de statu quo, nécessitant un changement, mais impliquant une autre forme d'immuabilité. Dans ce cadre, l'alternative incarnée par Never Queen prend tout son sens métaphorique, avec un à propos élégant. le lecteur se rend compte qu'
Al Ewing a réussi son pari : il met en scène ces entités métaphoriques, utilisant avec adresse la métaphore qu'elles contiennent, tout en donnant son point de vue, sans paraphraser
Jim Starlin. le résultat est extraordinaire pour tout habitué de ce type de récit dans l'univers partagé Marvel, ayant vu scénariste après scénariste échouer à atteindre ce niveau.
Al Ewing atteint son objectif sur les 2 plans : les métaphores sur la création dans un univers partagé peuplé de personnages n'appartenant pas aux créateurs, mais aussi raconter une histoire avec du suspens, du spectaculaire. Il parvient également à utiliser des concepts laissés de côté dans l'univers Marvel, tout en y insufflant du sens et un peu de nouveauté. le nouveau lecteur note le nom de l'équipe des Troubleshooters, ainsi que celui de Codename: Spitfire, ou encore Psi-Hawk. Il s'agit de nom sortant un peu de l'ordinaire de ceux des superhéros et un peu gauches, mais finalement adaptés aux membres de cette équipe sans costume de superhéros. le lecteur un peu plus ancien sourit en reconnaissant des noms utilisés lors de la création du New Universe en 1986, pour l'anniversaire des 25 ans de Marvel, voir par exemple Star Brand.
Le lecteur ne retrouve ni
Kenneth Rocafort, ni
Christian Ward pour cette première moitié de deuxième saison. La tâche d'illustrer ces aventures cosmiques et métaphoriques échoit à
Travel Foreman, bien épaulé par
Dan Brown. Il utilise un trait très fin pour détourer les contours. Il ne s'investit que ponctuellement dans les détails des décors : de vagues appareillages technologiques, les banquettes du diner, la texture du costume d'Anti-Man, l'envergure du vaisseau monde de Galactus, la bibliothèque de Philip Vogt. Pour le reste il s'agit d'arrière-plans chargés d'évoquer les coursives gigantesques du vaisseau de Galactus, ou des effets spéciaux indiquant que la scène se situe dans le plus haut niveau de la réalité. Pourtant le lecteur n'éprouve pas de sensation superficialité ou de manque de consistance des dessins. À part la serveuse dans le diner, il n'apparaît que des individus dotés de superpouvoirs, et des entités cosmiques. L'artiste conserve des morphologies bien découplées pour les superhéros, mais sans exagération de musculature, ou d'attributs sexuels. le lecteur voit des individus normaux, ayant revêtus des costumes moulants, des êtres humains qui ont conservé une apparence humaine plausible, donc facilitant l'identification. Les effets spéciaux de couleurs nourrissent les dessins pendant les phases d'affrontement, apportant la dimension spectaculaire attendue.
De la même manière, les arrière-plans colorés de
Dan Brown et Mat Yackey apportent une toile de fond pour les postures et les déplacements des entités cosmiques. Les coloristes n'abusent pas des myriades de couleurs à leur disposition, préférant des effets sobres. Dès la première page comprenant 3 cases, avec Eternity enchaîné, le lecteur constate que
Travel Foreman sait rendre compte de son immensité, et de son étrangeté. Lors des apparitions de Galactus, les dessins le convainquent de sa stature gigantesque, de sa puissance, alors même qu'il reste immobile. Il en va de même pour le Tribunal Vivant. Dans le premier épisode, le dessinateur se retrouve à mettre littéralement en scène des têtes en train de parler, celles du Tribunal Vivant, de Chaos et d'Ordre. Par un jeu de modifications d'angle de vue, et de compositions complexes de couleurs, il donne l'impression de mouvement, il persuade le lecteur que la scène se déroule dans un plan d'existence métaphorique, et cette banale scène de discussion devient un affrontement d'idée et de logique haletant. Dessinateur et coloriste réalisent des compositions finalement assez sobres capables de donner vie aux entités cosmiques et d'introduire de l'énergie dans les prises de vue. À nouveau, il s'agit de créateurs ayant assimilé les idées de
Jim Starlin et sachant en tirer profit, sans les singer.
Ce début de deuxième saison dépasse largement la première en qualité, et surpasse les attentes du lecteur.
Al Ewing met à profit les ressources de l'univers partagé Marvel, avec intelligence et à propos. Il raconte une aventure de superhéros tirant vers la métaphore, avec une narration personnelle, et un métacommentaire personnel. Les artistes (dessinateur + coloristes) se montrent à la hauteur du défi graphique correspondant, et en phase avec le scénariste.