Il était catégorique: ces aveux avaient été extorqués. "Pas par la force, avait-il précisé, mais par un acharnement particulièrement malin et retors d'une jeune agente zélée, déterminée le piéger."
Si elle devait prêter attention à tous ces malades qui voudraient la voir morte, elle ne vivrait pas...Nicolas Thomas n'avait été que le premier des tarés qu'elle a envoyés moisir en taule, auquel est venue s'ajouter depuis une longue liste de détraqués. Tous ont eu la malchance de tomber sur elle...
À quatre-vingt-quatre ans, que peut-on bien encore attendre de la vie? Qu'elle s'achève, et qu'on en finisse avec cette vaste blague?
Dans mon équipe on ne croit rien. On cherche et on trouve.
Ici ne peuvent survivre que des gens à la peine.
"quand la police fabrique des coupables........."
Seul compte le résultat, non ?
Comme toujours avec les nouveaux, on les laisse d’abord à l’écart. Pas par cruauté gratuite, ni pour leur faire payer quoi que ce soit – c’est en maison d’arrêt qu’on trinque, pas en centrale. La longueur de la peine à subir désormais est une punition suffisante en soi. Seulement, les nouveaux, on les jauge, on les étudie, on attend qu’ils se dévoilent. En centrale, on ne se livre jamais au premier venu… On prend le temps, on observe. La confiance se gagne peu à peu, même si nous sommes tous dans la même galère.
« Elle est coriace, elle ne va pas crever de sitôt, la vieille ! » se dit-elle souvent, comme un encouragement à s’obstiner à paraître dix ans de moins que son âge.
À force de journées inutiles, réglées comme du papier à musique, beaucoup se diraient : À quoi bon, pourtant, prolonger cette routine monotone, après une existence si accomplie ? Elle, jamais.
Des femmes flics, il y en avait si peu à l’époque qu’on la regardait comme une incongruité, une erreur de la nature. Elle s’en moquait. Dès ses premiers pas dans la police, elle avait compris que pour s’imposer elle devrait en faire dix fois plus que ses collègues masculins. Pour ça, la jeune Sophie avait un atout maître : déjà, toute gamine, elle ne craignait rien ni personne et, déterminée à marcher sur les traces de son père, voulait faire ce boulot. Son père l’avait poussée dans cette voie. « Ma dernière est un garçon manqué », rigolait-il. Très vite il avait constaté sa détermination, son caractère bien trempé, avait été sûr qu’elle irait loin. Cette fille qu’il avait élevée entièrement seul l’impressionnait. Ça l’amusait de la voir, adolescente, se passionner pour les criminels les plus endurcis, et de l’entendre jurer comme un charretier quand elle se fâchait.
Quand elle était entrée à l’École de police, elle était résolue à ne pas se contenter, comme lui, d’un bureau obscur à la préfecture. Elle avait travaillé d’arrache-pied pour en sortir en bon rang. C’était capital pour qu’on ne puisse pas la refuser à la Criminelle, dont elle rêvait.