mois par mois, une série de notes, parfois journal, réflexions sur l'écriture, le refus de continuer le roman, les femmes, un amour, des villes ou maisons dans la campagne, une philosophie de la vie.
Attachant, profond parfois sans pesanteur, une façon de recréer en quelques mots une atmosphère, un sens de la formule, un circuit que l'on suit, passant d'un registre à l'autre, sans lassitude ni brutalité.
Ne sais comment dire que je l'ai aimé.
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Il faut forcément avoir quelque chose à dissimuler pour écrire. Est-ce que j’exagère ? Ce n’est pas si évident. Quand on a consacré dix ans de sa vie à une activité, soit presque la totalité de ses années adultes, il faut se poser des questions. Je n’attends pas de réponses bien sûr. D’épiphanies. D’ailleurs, le chemin amenant à se poser une question m’a toujours plus intéressé que la réponse elle-même.
Aujourd’hui que j’ai renoncé à l’écriture romanesque, il n’y a plus de doute, et encore moins de romans en chantier pour l’embellir ou l’auréolé de mystère, ce doute : ma naissance précipita bien cette course contre la montre qui me charrie inexorablement, sauf-conduits littéraires ou pas, vers le jour où il faudra me taire à jamais.
Je suis en manque de ma ferme, des chevreuils qui me rendent visite le soir, que je nourris des reinettes du pommier. Des serpents qui vivent dans la grange. Des chats sauvages qui se battent jusqu’au sang les nuits de pleine lune. Des coyotes qui rôdent autour de l’étable à l’approche du mauvais temps. Des routes désertes de la péninsule où on ne croise jamais personne si ce n’est un vieux rancher dans un pick-up brinquebalant.
Toute la soirée, la tempête de neige s’est déchaînée, tandis que j’écoutais en boucle les Leçons de ténèbres pour viole de gambe de François Couperin, que la maison en bois craquait sous la furie des éléments, que j’assistais au spectacle de derrière les vitres de la cuisine, enfournant de longues bûches dans le poêle à bois, savourant ce qui me restait de sou-chong, comme si j’étais le dernier homme sur terre.
Je ne vais pas bien depuis quelques jours, vomis des filets de sang noir. Le sang des tripes. Le sang des tripes est noir comme ses yeux, me dis-je soudain à voix haute, connement. Je l’écris quand même sur un bout de papier, avec le sentiment de tenir une piste, d’avoir un début de paragraphe. Rien de plus ne vient, mais je comprends d’un coup que c’est comme ça qu’il faut écrire : sans se forcer, au moment exact de la souffrance, tous les sens en alerte ; écrire pour ne plus avoir mal.
Vidéo de Dominique Falkner