Citations sur La soupe aux choux (29)
Et...qu'est-ce qu'y disent ?...
- Oh! pas grand-chose. T'avais pas tord, tout à l'heure. Y racontent que t'as l'air d'un con...
Chérasse accablé se laissa choir sur son arrosoir, chuchota :
- C'est bien ce que je pensais...
- C'est pas bien grave ! Mieux vaut avoir l'air d'un con que d'un moulin à vent ! On tourne, d'accord, mais moins longtemps.
_Compris! Tu veux emmener la soupe là-haut pour la faire goûter à tes copains. C'est bien facile, mon chtit gars. J'allais pas la finir et elle aurait été pour le cochon. Autant que ça soye des Arabes dans ton genre qu'en profitent. Mais tu vas pas y emporter comme ça, pour y verser partout dans ta soucoupe! Je vas te prêter une vieille boîte à lait qui doit traîner par là. Si tu me la rends pas, j'en mourrai point. Du lait, j'en use jamais.
Le Glaude but, s'extasia:
-Goûte-moi ça si c'est frais, que ça tombe dans la gorge comme la rosée dans les fleurs!
Le Glaude, lui, avait été fait prisonnier, avait vécu cinq ans derrière les barbelés, expérience dont il avait tiré quelques solides notions de philosophie. Ainsi, dans son stalag , il s'était dit qu'avant la guerre il n'avait pas assez bu de vin à table. Libéré, il avait réparé cette lacune et se passait même de table.
Au village, en outre, il n'y avait plus d'idiot du village. Dès qu'ils manifestaient leurs talents, on les ramassait comme des petits-gris pour les enfermer à l'asile psychiatrique d'Yzeure.
Le Bombé (au Glaude) : J'ai jamais eu qu'une femme... et c'était la tienne !
-Le Glaude, c'est à combien de kilomètres, déjà, leur truc ?
-Vingt-deux millions.
-C'est pas la porte à côté. Moi, le plus loin que j'ai été, c'est à Clermont pour voir ma sœur avant qu'elle meurt, en 37. Y avait quand même déjà plus de cent bornes, à l'époque.
"Il n'y avait plus, non plus, de curé. Le vieux n'avait pas été remplacé par un neuf. On ne voyait plus de soutane au hasard des chemins, et le mécréant dépité n'avait plus le loisir de gueuler "à bas calotte!", puisque, aussi bien, il n'y avait plus de calotte. Certes, il demeurait encore un ecclésiastique affecté au chef-lieu de canton mais, appartenant à tous, il n'était en fait à personne. Pour le coup, le bonhomme avait été aigrement surnommé par ses ouailles éparpillées "le prêtre-à-porter". Mon Dieu oui - et que Dieu lui pardonne -, déguisé en notaire, il s'en allait porter à toute allure la bonne parole de commune en commune, main bénisseuse et pied sur l'accélérateur, expédiant messes, extrêmes-onctions, mariages, enterrements au grand galop de ses cinq chevaux. Résultat, au village, on était absous avant même d'avoir eu le temps de pécher, ce qui retirait bien de l'agrément à l'affaire. En somme, il n'y avait plus de Bon Dieu. Ou guère. Ou si peu." (Fallet, 1983)
— On a beau dire, fit Ratinier pour le seul plaisir de parler, mais tout ça c'est plus fort que du roquefort. Si on peut plus péter sous les étoiles sans faire tomber un Martien, y va nous en arriver des pleines brouettes !
Il subsistait encore, vaille que vaille, au hameau des Gourdillots, deux « exotiques » comme on les désignait, deux fossiles de la plus belle eau, deux pauvres chtites créatures de ce pauvre vieux Bon Dieu de Bon Dieu. Le premier de ces derniers des Mohicans, de ces fruits secs, tannés, confits dans le rouge, de ces insolites d'un autre temps rejetés par l'électronique et même par le moteur à explosion, le premier donc de ces deux druides de la chopine s'appelait Francis Chérasse, dit « Cicisse », dit « Le Bombé » vu qu'il était un petit chouilla bossu sur les bords et aux entournures. Le second, c'était Claude Ratinier, « Le Glaude », comme on prononçait par chez-lui. Un chez-lui qui tombait d'après lui quelque peu en couille, il voulait dire en quenouille.