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Partie prenante pendant la guerre d'Algérie, Frantz Fanon livre ici un testament politique d'une grande importance. Daté mais intemporel, spécifique mais universel, parfois rébarbatif mais toujours fascinant, cet ouvrage n'est pas destiné aux européens pourtant tous les européens devraient l'avoir lu au moins une fois dans leur vie... Histoire de savoir d'où ce "développement", dont chacun profite, est issu.
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Au moment où il écrit cet ouvrage, en 1961, le monde colonial est en plein éclatement. 1956 a vu en Angola la naissance du mouvement populaire de libération, Madagascar a retrouvé son indépendance en 1960 après une lutte nationaliste incessante contre la France, la révolte des Mau Mau qui permettra au Kenya d'y accéder en 1963 bat son plein... Et, surtout, en Algérie, la guerre a débuté, depuis 1954.

Frantz Fanon, qui a exercé sa profession de psychiatre à l'hôpital de Blida, où il a été amené, là aussi, à traiter les nombreux troubles occasionnés par la situation coloniale mais aussi par les exactions commises pendant la guerre d'indépendance (tortures, massacres), prend fait et cause dès 1956 pour la libération du peuple algérien : il remet sa démission de son poste à l'hôpital et rejoint le Front de Libération Nationale (FLN).

Ce qui frappe en premier lieu, lorsque l'on débute la lecture des "damnés de la terre", c'est sa limpidité. L'auteur pose un raisonnement lucide et visionnaire, mais surtout accessible à tous. Il est d'ailleurs important de noter, ainsi que le fait Sartre dans la préface qu'il a rédigé à cet ouvrage lors de sa parution, que ce dernier à été écrit à l'intention des peuples colonisés, et non de leur oppresseur.

Dans un premier temps, Fanon pose le principe de l'inéluctabilité de la violence dans le processus de libération, qui ne peut passer que par la destruction totale de la structure mise en place par le régime colonial. "L'intuition qu'ont les masses colonisées que leur libération doit se faire et ne peut se faire que par la force", après des décennies d'exploitation et d'asservissement, est le départ d'un élan populaire que rien ne doit pouvoir arrêter.
Aucune compromission à cet éveil des opprimés n'est acceptable : les partis politiques nationalistes raisonnables qui cherchent à négocier avec les colons ne peuvent que permettre à ces derniers de maintenir une partie de leur emprise sur les colonies. Cette violence semble par ailleurs logique, puisqu'elle vient en réponse à celle qu'a fait subir l'européen des années durant aux indigènes, auxquels il a toujours été dit qu'ils ne comprenaient que le langage de la force !

La volonté de combat fait naître chez le peuple la notion de conscience et de destin national, et là où "Les damnés de la terre" est très intéressant, c'est que Fanon insiste sur le fait qu'il ne faut pas s'arrêter là : après la libération, un autre combat se joue, celui de la reconstruction. L'auteur voit dans la décolonisation l'occasion inespérée de bâtir un nouveau modèle de société, dans laquelle l'homme serait le bien le plus précieux, une société tournée vers l'ensemble du peuple.

Fanon est bien conscient de tous les obstacles qui s'opposent à l'avènement de cette société idéale, et il les détaille, pour mieux les reconnaître et les éviter. La plus grande difficulté à surmonter réside dans les inégalités qui séparent les colonisés les uns des autres. Les citadins ont profité durant la domination européenne de certains avantages. Il s'est ainsi créée une bourgeoisie indigène qui singe la bourgeoisie occidentale, mais qui n'a ni la puissance économique de cette dernière, ni sa légitimité séculaire. La bourgeoisie indigène se contente d'afficher des signes extérieurs de richesse, mais fait preuve d'étroitesse d'esprit en refusant de réinvestir ses bénéfices dans l'économie locale. le prolétariat des villes, se calquant sur le comportement de cette bourgeoisie, fait preuve de racisme envers le milieu rural, considéré comme moyenâgeux, et dont il craint que les masses ne viennent lui disputer ses avantages acquis.

L'élaboration d'une société bourgeoise suite à la décolonisation est par conséquent vouée à l'échec, nous dit Frantz Fanon : se vendant aux grandes compagnies étrangères pour faire du profit, minée par la corruption, la cupidité, elle accentue les inégalités qui vont forcément inciter les miséreux à se révolter, et l'expérience (notamment dans certains pays d'Amérique du Sud) a démontré que dans ce cas, l'armée, appelée en renfort pour réprimer la révolte, en profite pour prendre le pouvoir et c'est alors une dictature militaire qui s'installe.

C'est pourquoi l'auteur insiste sur la nécessité d'instaurer un lien entre les villes et les campagnes. Il est indispensable que les élites nationalistes se rapprochent du vrai peuple, l'instruise, le politise, l'organise. le peuple se doit non pas d'être tenu en laisse, mais d'être souverain. La reconstruction doit passer par la reconnaissance et l'implication de tous, le citoyen doit participer à la reconstruction de la nation pour se l'approprier. Il doit être l'artisan de son propre développement.
La tâche est immense, il s'agit d'alphabétiser, de répartir travail et richesses, de rétablir l'égalité entre citadins et ruraux, hommes et femmes, de passer, en bref, d'une conscience nationale à une conscience politique et sociale.

Autre danger sur lequel l'auteur alerte les états nouvellement libres : celui de se risquer à répondre aux sollicitations des nations impérialistes ou socialistes, qui ont bien compris les enjeux de la décolonisation. Rappelons que nous sommes alors en pleine guerre froide, et que la dite décolonisation est pourvoyeuse d'opportunités de positionnement stratégique sur le plan économique et politique, d'où les tentatives de séduction des différents blocs...

Mais, ainsi que nous le rappelle Frantz Fanon, les nations libérées du colonialisme doivent être maîtresses de leur destin.

"Le sort du monde ne dépend pas de la guerre entre régime socialiste et pays capitalistes, mais d'investir et aider techniquement les régions sous-développées".

D'autant plus qu'ainsi qu'il le souligne dans sa magnifique conclusion, le système occidental a montré ses limites, son inhumanité. le modèle européen, notamment, n'est par conséquent pas à suivre...

Quelques 60 ans plus tard, on peut déplorer que les conseils qu'il prodigue dans ces "Damnés de la terre" n'aient pas été vraiment suivis... On y réalise toute la mesure de sa clairvoyance, de la justesse de son analyse sur le devenir des nations décolonisées qui ont rarement -voire pas du tout- profité de l'occasion pour mettre en place une société équitable et humaniste telle qu'il la rêvait pour ces peuples épuisés par des siècles d'asservissement. La consolation est maigre, de se dire qu'il n'aura pas été là pour faire un constat amer (il est mort des suites d'une leucémie quelques mois après la parution de ce livre) face à cette Afrique aujourd'hui ravagée par la misère, le sida et les guerres intestines.

Frantz Fanon, grand humaniste, avait foi en l'homme.
Peut-être l'homme n'a-t-il pas eu assez foi en lui-même...
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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Un texte difficile écrit durant la violente période politique de la décolonisation.
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Une analyse d'une clarté et d'une justesse étonnante. Je dirais d'une intégrité incontestable. Nous pourrions nous passer de la présentation un peu paternaliste de Gérard Chaliand et de la préface redondante de Jean-Paul Sartre. Mais le corps du texte nous fait vivre presque comme si nous y étions l'oppression des peuples africains et arabes. Si les prédictions de Frantz Fanon ne se sont pas réalisées elles se laissent entrevoir encore. Les deux dernières sections, quoique succinctes, qui abordent la culture et les troubles mentaux à travers la lutte contre le colonialisme. ajoute à la qualité de son exposé magistral.
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Avant toute chose: Méfiez-vous des avis majoritairement positifs OU négatifs, gardez en mémoire que les goûts de chacun sont question de sensibilité personnelle, de subjectivité. Si j'amorce mon propos ainsi c'est que mon avis détonnera parmi ceux rencontrés pour ce livre. Je n'ai vraiment pas du tout apprécié ce livre, je l'ai trouvé totalement excluant car lorsque l'auteur se lance dans ses explications spécifiques dans des domaines tels que la politique et l'histoire, en longueur qui plus est, j'ai trouvé ces parties rébarbatives, soporifiques et ce sont ces parties qui m'ont définitivement perdue. Sa manière de relater ce côté polico-historique n'est pas accessible à tous, beaucoup trop technique et nébuleux pour la profane que je suis en politique. je conseillerais de lire avant ce livre, Peaux noires , masques blancs car ce que je reprochais à Peaux noires, masques est en version minime (le côté trop technique de l'auteur dans ses propos qui excluent les lecteurs non initié dans ses domaines) alors qu'il est exacerbé dans les Damnés de la terre. Déception totale, le côté psychologique est mis vraiment en micro rappel ci et là.
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Bien sur le livre est intéressant, la personnalité de l' auteur, l 'approche psychanalytique, l 'analyse très pointu du sujet, mais le tout est un peu lourd.
Finalement, ce que j 'ai préféré c'est la préface de Sartre...
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Super début!
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j'ai beaucoup apprécié ce livre sur le colonialisme, quelqu'un connaîtrait t'il d'autres oeuvres similaires intéressantes ?
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Je décidai de lire Les damnés de la terre après Peaux noires, masques blancs, qui m'avait beaucoup plu. Cette fois, Fanon analyse les aspects socio-économiques du colonialisme en insistant sur le processus censé y avoir mis fin. Il en dénonce la facticité, tant les Occidentaux, par l'intermédiaire des bourgeoisies nationales, ont perpétué le système colonial et entretenu ses rouages. Mais l'auteur ne se contente pas de constats, il montre aussi la voie : pour que le tiers-monde obtienne sa souveraineté, des prises de conscience nationales émanant des masses sont nécessaires, sans elles aucunes cultures propres ni aucuns développements ne peuvent se pérenniser.
Encore un texte vibrant de Fanon, hélas plus que jamais d'actualité. Je recommande vivement sa lecture.
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