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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Le livre les Damnés de la terre paraît en octobre 1961 aux Editions François Maspero, alors que Frantz Fanon est mourant et que la violence coloniale se déchaîne avec la guerre d'Algérie. le livre est interdit dès sa diffusion sous le chef d'inculpation d' « atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat ».
Ce livre fut rédigé en un an par un homme qui se savait condamné par une leucémie dont il n'ignorait pas, en tant que médecin, qu'elle était incurable.
Mort « algérien », Frantz Fanon est né « français » en 1925, à Fort de France en Martinique. Il a été un élève d'Aimé Césaire, poète et père du nationalisme antillais. Psychiatre, militant de l'indépendance algérienne au sein de FLN. Il est aussi l'auteur de Peau noire, masques blancs qui est en fait sa thèse de médecine.

Les Damnés de la terre développe deux thèmes majeurs : celui de la violence nécessaire et spontanée et les conditions de la naissance d'une nouvelle nation. Il note au passage les pièges dans lesquels celle-ci doit éviter de tomber.
Pour Alice Cherki, Fanon écrit à partir de son expérience singulière, et l'écriture même de l'ouvrage suit ce mouvement.

le livre est divisé en cinq chapitres :

I de la violence
II Grandeur et faiblesses de la spontanéité
III Mésaventures de la conscience coloniale
IV Sur la culture nationale
V Guerre coloniale et troubles mentaux

Les cinq chapitres du livre sont disposés comme les strophes d'un poème comprenant des analyses rigoureuses. Son écriture est appuyée sur son propre vécu de médecin psychiatre au contact direct des déshérités. Il cherche à produire une compréhension qui aille au-delà d'une argumentation.

Thématique de l'ouvrage

La Violence

• Dès la première phrase du livre, « libération nationale, renaissance nationale, restitution de la Nation au Peuple, Commonwealth, quelles que soient les rubriques utilisées ou les formules nouvelles introduites, la décolonisation est toujours un phénomène violent. » La violence est la clé du succès de la décolonisation. Celle-ci est un processus de désordre absolu, la seule réalité révolutionnaire. le titre, Les damnés de la terre est d'ailleurs tiré du chant révolutionnaire l'Internationale. « Debout les damnés de la terre, debout les forçats de la faim » le colonisé doit redécouvrir le réel « mitraillette au poing ».

« L'homme colonisé ne se libère que dans et par la violence » (chapitre1)

Frantz Fanon rappelle à la fin du chapitre de la violence, l'une des pages les plus violentes et les plus décisives selon lui, d'Aimé Césaire. Dans les Armes miraculeuses, le rebelle explique :

(…) c'était le maître…J'entrai. C'est toi, me dit-il, très calme…C'était moi, c'était bien moi, lui disais-je, le bon esclave, le fidèle esclave, l'esclave esclave, et soudain ses yeux furent deux ravets apeurés les jours de pluie… je frappai, le sang gicla : c'est le seul baptême dont je me souvienne aujourd'hui.

Le combat que mène Fanon est d'abord dirigé contre l'Europe : « le bien –être et le progrès de l'Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres de Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes ». Il préconise une nouvelle redistribution des richesses et demande aux impérialistes de rendre ce qu'ils ont pris. Mais cette lutte contre le colonisateur souligne également les faiblesses des partis nationalistes.


Les difficultés potentielles de l'indépendance

Frantz Fanon perçoit un décalage entre les cadres de la révolution et les masses. Les élites nationalistes accordent une trop grande importance à l'organisation. Elles s'adressent en priorité au prolétariat des villes, aux artisans, aux petits fonctionnaires et négligent la paysannerie qu'elles laissent entre les mains des cadres féodaux. Or comme le souligne l'auteur, les masses rurales ont déjà joué un rôle moteur, notamment, lors des jacqueries de Madagascar en 1947. Les partis nationalistes ne préparent pas les masses paysannes à une action structurée. Ils font simplement confiance à leur spontanéité. Les dirigeants révolutionnaires se doivent donc de maîtriser la spontanéité du peuple sans la brider car elle est la source finale du succès.

• Les deux premiers chapitres sont empreints d'un certain optimisme. En revanche, les deux chapitres suivants sur la conscience et la culture nationales soulignent les freins les plus importants au développement d'une indépendance harmonieuse.

• La constitution d'une vraie culture nationale est essentielle. Elle est difficile à acquérir car le colonialisme a en partie détruit le passé. Les élites se sont souvent jetées « avec avidité dans la culture occidentale ».

• La lutte de libération est indissociable de la culture nationale. Les conteurs peuvent introduire dans l'actualité des guerres anti-coloniales des héros du passé ( Behanzin en Afrique noire – Abd el Kader en Algérie). Un retour pur et simple aux sources indigènes de la culture serait trop passéiste, il faut valoriser la nouvelle nation composée d'hommes nouveaux.


Critiques de l'ouvrage

Les damnés de la terre sont préfacés par Jean-Paul Sartre dont c'est la grande époque de succès politique ». La préface est plus violente que le livre de Fanon, souvent à la limite de l'insulte. « L'Europe est un continent gras et blême ». « Abattre un européen, c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé : restent un homme mort et un homme libre »Elle est à la fois excessive et datée.

• le livre de Frantz Fanon est un cri. Traversé par un extraordinaire lyrisme, il est comme le dit son autre préfacier G. Challiand « un chantier de la damnation » ; celui de la colonisation qui a aliéné l'homme. Les mots sont parfois très crus. Pour Jean-Claude Bibas il est « un révolutionnaire pur, la fois utopique et réaliste ». Il se dégage de ses phrases une grande poésie, une puissance d'évocation:

« Retrouver son peuple, c'est quelquefois dans cette période vouloir être nègre, non pas un nègre comme les autres mais un véritable nègre, un chien de nègre tel que le veut le blanc. Retrouver son peuple, c'est se faire « bicot », c'est se couper les ailes qu'on avait laissé pousser » (chapitre 4)

• le FLN dont il est membre est idéalisé. Il sacralise les campagnes en affirmant que les Harkis « collaborateurs » des Français sont exclusivement originaires des villes, ce qui n'est guère exact. Enfin, il faut convenir que rien de ce que préconise Frantz Fanon n'a été mis en oeuvre par les « Révolutionnaires » du FLN. L'armée de H. Boumédienne a pris le pouvoir en éliminant le pouvoir civil, le Code de la nationalité a été fondé sur l'Islam, les femmes algériennes sont retournées à un statut traditionnel et la polygamie autorisée par le président Chadli. Pour Jean-Claude Bibas, les responsables algériens n'ont d'ailleurs guère reconnu « la grandeur réelle et la noblesse de coeur d'un homme qui leur a beaucoup apporté »

• Sa conception de la culture nationale n'est pas fermée car elle est toujours associée à l'internationalisme. Pour lui, la culture et la nation ne doivent pas se fossiliser en puisant exclusivement dans le passé. Il décrit ce qui se passe encore aujourd'hui dans beaucoup de pays en développement : coups d'Etat militaires multiples, absence de démocratie, baisse du niveau de vie, urbanisation forcenée, pillage des ressources par une minorité de privilégiés.





Portée de l'ouvrage

2. A court terme

Les damnés de la terre ont été un immense succès au moment de leur parution J.Daniel écrivait dans l'Express « Les damnés de la terre, ce sont évidemment tous les hommes du monde sous-développé, du tiers monde, tous ceux qui ont transporté à l'échelle nationale la lutte des classes de la vieille Europe. Ce livre est une oeuvre implacable, parfois irritante, toujours passionnante, exceptionnellement précieuse »

Ses écrits font de Frantz Fanon l'unique théoricien de la révolution algérienne. H Boumédienne, président de la république d'Algérie s'inspirera de Frantz Fanon pour établir le socle tiers-mondiste de l'action internationale de son pays.

3. Frantz Fanon actuel

• Considéré comme un livre phare des années soixante-dix, essentiellement lié au tiers-mondisme, Les Damnés de la terre tomba ensuite dans l'oubli. Il semble que l'auteur ait sur-estimé la force des masses paysannes et sous-estimé la force du religieux. La préface de Sartre que Fanon avait souhaitée fut, semble t-il d'avantage lue au cours des années que le corps du texte.

• Pourtant Alice Cherki dans la préface de la réédition de 2002, présente Frantz Fanon comme d'une grande actualité car « il aide à comprendre ce qui se produit quand des êtres humains sont maintenus dans le registre de la privation : violences, recours aux régressions ethniques ou identitaires.
Frantz Fanon « a tenté de mettre en place une nouvelle construction du savoir introduisant le corps, la langue et l'altérité comme expérience subjective du politique »

La pensée de Frantz Fanon est révolutionnaire, tiers-mondiste mais aussi humaniste. Son combat ne visait pas seulement la libération de l'homme noir ou du colonisé. Il cherchait essentiellement à libérer l'homme. le racisme lui est étranger « Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur de rechercher en quoi ma race est supérieur ou inférieure à une autre race » « il n'y a pas de mission nègre, il n'y a pas de fardeau blanc : un seul devoir, celui de ne pas renier ma liberté au travers de mes choix » (Peau noire, masques blancs).

Frantz Fanon est un homme qui s'interroge, il ne cesse jamais de penser à un « vivre ensemble ». Il souhaite que le colonisé « décolonise l'être » et pas seulement les structures administratives ou politiques. Pour Frantz Fanon, l'être humain accède à l'universel à partir de sa différence et non de son particularisme. La mort du colonisé est celle du colonisateur naissent d'une seule logique, celle de la création d'un homme nouveau.


Le livre s'achève sur cette phrase :

« Pour l'Europe, pour nous-même et pour l'humanité, camarades, il faut faire peau neuve, développer une pensée neuve, tenter de mettre sur pied un homme neuf. »

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Lecture très intéressante sur le colonialisme et la décolonisation. L'analyse est convaincante même si j'ai eu, quelques fois, des désaccords, le discours politique de l'auteur n'étant pas toujours efficace. Ouvrage qui reste néanmoins hautement recommandé.
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Un texte difficile écrit durant la violente période politique de la décolonisation.
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