Il faut énormément d'abnégation pour aller au bout de ce roman. Pas parce qu'il traite du mal (le motif préféré de Fel depuis ses débuts, qui utilise la même ouverture pour chacun de ses romans, à savoir une scène répugnante écrite avec grandiloquence), parce qu'il y a viol, meurtre, inceste, j'en passe et des pires. Mais parce qu'il est décevant, à se demander comment un texte d'un niveau aussi brouillon a pu passer le tamis de la publication sans un minimum de travail de coupes et d'édition. Passée la petite intrigue policière étirée jusqu'à la trame, nous nous retrouvons avec un livre dévitalisé du début à la fin, qui empile les pages et les paragraphes totalement impersonnels sur le plan littéraire. Chaque chapitre est raconté par un personnage différent, mais tous s'expriment de la même manière, monotone et dépourvue de la moindre émotion, au point qu'à chaque tentative d'exprimer un ressenti plus aigu que les autres (colère, joie, tristesse), il paraît fabriqué et artificiel. L'absence de dialogues n'offre aucune respiration à un texte écrit au kilomètre sans se relire, limité à 500 mots de vocabulaire, mais qui ne lésine pas sur les références musicales, littéraires et cinématographiques gratuites (ce passage qui détaille plusieurs scènes de Twin Peaks : Fire walk with me sans que ça apporte quoi que ce soit à l'intrigue) ; quant aux innombrables titres cités, chansons ou romans, on l'impression qu'il s'agit plus pour l'auteur de se faire plaisir/mousser que d'apporter une réelle information sur les personnages (sérieusement, une ado superficielle qui lit le seigneur des porcheries?).
L'avalanche d'horreur s'enchaîne avec une telle régularité qu'à la fin, ce n'est pas l'effroi qui nous prend, mais le fou rire devant tant de grand-guignol et de grotesque : c'est comme si à chaque page, l'auteur se disait « bon qu'est-ce que je pourrai inventer pour noircir encore plus ce tableau dégueulasse ? » tant il accumule les détails sordides avec plaisir. En conséquence, la peinture de la famille Delage sensée égratigner le monde forcément décadent de l'édition parisienne est terriblement attendue : incestueux, libidineux, tortionnaires, adultérins, suicidaires, n'en rajoutez plus, la mule est déjà bien chargée. le final atteint des sommets de n'importe quoi, nous ne sommes plus à ça près en terme de vraisemblable.
Après tant de remplissage, on songe qu'il y a plus de mal, de malaise et de littérature dans 200 pages de n'importe quel roman de
Jim Thompson que dans ce bouquin à la violence toujours gratuite et à la profonde vacuité. Plus grave encore, on est sensé s'améliorer à chaque livre, que ça soit dans le style et la précision narrative, et surtout savoir opérer des coupes ; c'est le quatrième de l'auteur et on ne peut pas dire qu'il suive ce précepte.