Julian Fellowes, comme son nom le laisse supposer, est anglais. C'est donc avec l'humour typique de ses compatriotes qu'il nous sert ici une critique acerbe de la haute aristocratie anglaise vers 1960. Cette petite noblesse vit ses dernières années, mais elle refuse de l'admettre et s'accroche désespérément aux traditions et rites inchangés depuis des siècles.
A cette époque, le narrateur est étudiant et fait partie de cette classe sociale dont il observe le ridicule sans toutefois songer à la désavouer. Il participe donc à la « Saison », cette succession de bals organisés à la gloire de chaque demoiselle, financés par ses parents dans le but clair et avoué de lui trouver l'oiseau rare qui la rendra riche et (secondairement) heureuse. Il assistera ainsi au « Bal des Débutantes » où toute fille digne de ses ancêtres qui atteint l'âge de 18 ans est présentée à la Reine. Tout cela dans un strict respect de divers codes, comme celui de l'habillement : les hommes portent bien sûr un queue-de-pie.
Comme support à cette critique, l'auteur a concocté une histoire originale et drôle. Quarante ans plus tard, un des participants à ces « joyeusetés » - mais en intrus car il n'était pas aristocrate- reçoit une méchante lettre anonyme, d'une de ses anciennes conquêtes sans aucun doute, faisant croire qu'elle a eu un fils de lui et que sa vie en a été gâchée. Depuis, il avait clairement renié ses fréquentations de jadis, mais, proche de la mort, il recontacte le narrateur et lui demande de retrouver qui a écrit cette lettre. Il lui donne le nom de cinq conquêtes qui pourraient être la mère de l'enfant…
Débutent alors cinq enquêtes qui se lisent avec un plaisir permanent . Humour et misantropie font bon ménage, car Fellowes ne se contente pas de critiquer cette société, il analyse le caractère de ses personnages, décortique leurs paroles, leurs actes, pour en trouver les véritables motivations. le résultat est rarement positif !
Chaque « enquête » est divisée en deux parties. Dans l'une le narrateur se replonge dans le passé, dans l'autre il retrouve l'amie en question quarante ans plus tard, ce qui montre que la belle vie de jadis est bien loin : la plupart ont eu une existence particulièrement malheureuse.
le dernier chapitre constitue le seul reproche que je formulerais à ce roman. Tout au long de l'histoire, les personnages évoquent de temps à autre des vacances au Portugal, sans rien en dire davantage. L'explication arrive ici, et donne aussi la clé de l'énigme. Mais l'humour anglais fait place à la grosse farce, qui pourrait être drôle si elle n' avait pas eu de tristes conséquences.
Il m'arrive souvent d'être déçu par les dernières pages d'un bouquin, mais cela ne m'empêchera pas cette fois de considérer «
Passé imparfait » comme un remarquable roman.