Après l'Afrique, ses townships dans «
Zulu» et ses réserves animalières dans «
Okavango», gorgés de malfaisants, l'Amérique du sud et Buenos Aires la grande corrompue américaine avec sa cour des miracles de deux millions de marmiteux.
Même faune de psychopathes qu'on retrouve aussi bien dans les barrios que dans les beaux quartiers ceux de la junte militaire. Un avantage du lieux de l'intrigue, la réputation de l'Argentine, ici la pourriture se trouve de partout, elle gangrène tout du «cartonero» au président et Buenos Aires exalte plus de miasmes mauvais que de bon vents.
Un contexte géopolitique bien détaillé,
Férey nous fait un bon résumé de ce qui caractérise négativement l'Argentine depuis un bon siècle (avec le libertarien Milei il y a de fortes chances pour que cela continue) inflation endémique, endettement abyssal, corruption des élites et violences pyramidale sur fond de guerre civile et de grande misère sociale. Un peu trop historique et généralisé sans nuances d'ailleurs, un peu de fantaisie aurait pu aérer un contexte considéré comme vrai mais excessivement pathogène surtout que
Férey n' a pas été avare en explications détaillées au détriment de l'intrigue édulcorée.
Des personnages typés puisés dans le rebut de la société, d'une part les indiens
mapuche,
Férey aime les ethnies mal colonisées en voie de disparition, ici plus précieusement Jana, l'héroïne, une sculptrice et d'autre part les prostitués, puterelles et ribaudes masculines: les «trav's», les «folles» mais pas celles de l' «Asociación Madres de Plaza de Mayo» dont Paula aux cils de girafes. Un privé, Rubben, «hard boi
led», sorte de Simon Wiesenthal pour malfaisants argentins, réchappé miraculeusement des geôles, beau gosse, ténébreux , tourmenté qui a énormément souffert et souffre encore énormément, en deux mots: le héros et au-dessus un petit quelque chose des aïeux
mapuches
On a aimé ses «yeux anthracite piqués de petites fleurs myosotis» de Rubben, le «regard étoilé» de Jana et les «cils de girafes» de Paula (
Férey prépare déjà son «
Okavango»):
Férey est parfois iridologue, botaniste, astrologue ou poète c'est selon.
On a aimé le chat appelé «
Ledzep» le chien «Brad Pitt» ou «Gasoil»
Férey est un ami des bêtes. Les cloportes ont aussi un nom mais moins drôles.
On a aimé ces personnages inaltérables et insensibles aux douleurs les plus extrêmes, coupés en deux ils trouveraient le moyen de piquer un cent mètres en rigolant.
On a aimé aussi quelques petites choses à droite et à gauche dont on se souvient vaguement;
Férey est spécialiste du détail toujours plus sordide et du style emphatique et surfait: on sent nettement que le sordide va être dépassé par un sur-sordide, lui-même précédent un sur-sur-sordide. Vraisemblance narrative assez élastique, du pressenti que vont néanmoins dépasser le lecteur et les héros blasés, « écoeurés mais on tient le coup» On notera en anecdote que les méchants font environ 1100 km pour assassiner deux personnes et les enterrer à 2000m d'altitude. 2200 km aller-retour Ah le prix de revient de l'assassinat en Argentine est très élevé ( mais nous direz-vous le militaire est bête c'est vrai mais il n'en reste pas moins que la bêtise du militaire galonné reste excessivement onéreuse alors que Buenos Aires est au bord de la mer et que la méthode de la «crevette Bigeard » des paras français avait déjà été instaurée)
Articulations et enchaînements tirés par les cheveux: il faut avoir de l'imagination et surtout y croire mais bon quand on aime...
Quantité de petites comparaisons travaillées originalement qui ont vocation à rester dans les annales de la littérature policière ou alors petites interjections amoureuses originales «Tête de pioche», «ma grosse», «mon vieux» «petit lynx» «baby doll» qui est plus original que «honey» si, si, la «
Férey touch» mais, qui sont surprenantes et croquignolesques.
Parmi ces coups de patte de féreyiens on retrouve aussi le «road movie» qui nous entraîne loin et nous fait découvrir des paysages: pampa, Andes, désert. On peut noter aussi que
Férey exagère entre Buenos Aires et Uspallata il n'y a que 1100km et non pas 1300 mais comme ils font deux fois le trajet ça fait un peu «jeu des milles bornes» et la case prison n'est jamais loin.
Ensuite
Férey a la faculté d'enchaîner deux scènes antinomiques sans broncher: un passage dramatique, lecture du carnet bleu de Rubben sorte de «journal d'
Anne Frank», très émouvant, avec une scène de fesses censée être une scène d'amour: l'argentin est un chaud lapin.
On notera encore qu'il a réussit a placer Bowie,
Iggy Pop et
led-zep, que du bon, ce qui lui vaudra une étoile supplémentaire et en plus un extrait ci-dessous de «Heroes» qui cadre bien avec le sujet.
Autre marque de fabrique les dialogues unisexes où homme et femmes parlent sans distinction de c...s, de les sucer, de les briser, de les casser et Jana la jeune héroïne en a au cul alors que le trav‘s en a plutôt une molle mais devant. On n'est pas tous égaux devant la nature. Ah oui les méchants disent «hija de puta» en espagnol dans le texte à laquelle répond Jana par «fils de pute» il doit y avoir une subtilité mais on ne voit pas bien où. Langage édifiant viriliste aujourd'hui féministe un peu quand même mais bon pour ce que j'en dit, je m'en les bat! Toujours est-il qu'avec
Férey on apprend les langues locales et c'est très bien.
La grosse question en fait c'est: Rubben et Jana vont-ils conclure? Manque de bol on est assez rapidement fixés, reste l'intrigue policière et là on se demande si les méchants vont être punis. Ah l'angoisse!
Un regret le "tango" est à peine effleuré!
We can beat them
For ever and ever
Oh we can be Heroes
Just for one day
Heroes D.Bowie