On passe son temps à attendre au lieu d'être.
Les mœurs changent plus que le fond des âmes.
Il y avait en eux une inertie magnifique, une façon absolue d'accepter le sort et la vie comme ils viennent. Ils étaient sublimes et désespérants, logés exactement dans le moment (et l'on connaît moins de tracas quand on se loge là).
C'est bien vrai que la vie est pleine de nuages. Et parfois c'est si noir que le noir vient en nous (...). C'est de la douleur d'aimer, ça c'est bien sûr, mais c'est tout pire de ne pas aimer.
Et maintenant elles se tiennent debout face aux policiers, le ventre en avant, cambrées, comme s'il y avait en elles quelque chose de flamboyant et de victorieux, quelque chose de fatal et d'irrémédiable, contre quoi ils ne peuvent rien avec leurs lois, leur mépris, leurs poursuites et leurs procédures.
Il n'y a pas forcément besoin d'être intelligent, Misia le pensait en voyant le sourire de Milena, cette simplicité pour se lever, tenir debout et se recoucher le soir, sans avoir réfléchi au sens que pouvait avoir se lever, se tenir debout et se coucher.
Les hommes, c'est rien ! répétait Misia, c'est bien agité autour d'un petit morceau de chair qui durcit, mais c'est pas tout, après, ils sont là eux (elle montrait les enfants). Qui s'en occupe hein ?
(...) les enfants ils nous sortent du ventre, mais c'est tout ce qui est sûr. Ce qui court dans leur sang, on n'en sait rien. Et les arranger comme on veut, c'est pas la peine d'y compter, ils en font jamais qu'à leur tête.
Helena et ses filles s'en allèrent après le Nouvel An. Elles se glissèrent dans l'aube givrée pendant que le père dormait. La veille encore il avait levé son bras comme s'il fendait du bois mais c'était sa femme qu'il allait abattre. Elle avait éclaté d'un rire à la limite du sanglot et de la toux. Frappe ! Frappe ! criait-elle. Parce que c'est la dernière fois ! Frappe et regarde-moi te quitter !!
Le temps, dit-elle, c'est qu'un salopard qui nous dépouille de tout. Quand il est passé, on a perdu ceux qu'on aime, le corps qu'on a et sa force, et la beauté mais qui n'est qu'une fiente d'oisillon à côté de la santé. Et on a pas à lutter, on a qu'à s'habituer.