Quand t'abats un arbre, dit-elle, à la fin il est couché par terre et la sève coule comme un sang. Quand t'abats une femme, elle reste debout.
L'école c'est pas du tout comme toi. La maîtresse elle me regarde pas.
... les frères entre eux se désolaient : rien de tel que les enfants pour calmer l'ardeur des femmes.
Aucun des fils n'avait quitté la mère. Nul n'aurait songé sans déshonneur à l'abandonner.
C'est fini ? demanda Priscilla avec sa voix timide. Il reste encore la morale, dit Esther. C'est quoi la morale ? demanda Hana. Tu le sais ! dit Esther. Mais elle expliqua une nouvelle fois. C'est le sens de cette histoire, et ce qu'elle peut nous apprendre sur ce l'on devrait ou ne devrait pas faire. (p.116)
Tu as perdu ton fils. C'est le plus dur qu'on peut vivre. Les enfants, c'est le bonheur et la faiblesse des femmes. C'est par là seulement qu'on peut les abattres.
Elle s'installa dans sa voiture. Malgré cette absence inhabituelle, elle ne s'inquiéta pas. Elle apportait de nouveaux livres et les feuilleta en attendant. Il y a des jours d'ardeur: Esther avait envie ce matin-là de lire, d'expliquer, envie de parler comme on a lorsqu'on ressent avec plus d'acuité l'étonnement d'être et l'impression (toujours fausse) de savoir comment s'y prendre. Elle attendit. " Une sombre forêt de sapins se hérissait de chaque côté du cours d'eau gelée." Les enfants allaient adorer cette histoire. Elle lisait au hasard des pages en se réjouissant. "Les hommes cheminèrent sans parler à travers le monde des grands gels. Le silence n'était rompu que par les hurlements de leurs poursuivants, qui rôdaient, invisibles, sur leurs traces." Il y avait un secret au cœur des mots. Il suffisait de lire pour entendre et voir, et l'on avait que du papier entre les mains. Il y avait dans les mots des images et des bruits, la place de nos peurs et de quoi nourrir nos cœurs.Elle ne s'arrêtait plus de lire.
Entre deux pages elle apercevait les visages sérieux des enfants. Ils étaient concentrés, inatteignables. Elle lut avec de la tendresse et de la foi dans les histoires. Et elle n'avait ni crainte ni question, est-ce que c'était artificiel, utile, naïf, stupide, de venir ainsi, sans prévenir, sans demander, pour lire des histoires à des enfants. Un élan la portait, elle lisait en mettant le ton, sans jamais être fatiguée de le mettre, sans se presser de finir comme elle faisait parfois quand elle couchait ses garçons. Elle lisait et le reste attendait.
Elle était joyeuse, et plus que les autres, comme si, l'âge gagnant, elle avait fini par comprendre que la joie se fabrique au-dedans.
Esther arriva le mercredi à l'heure habituelle. Une brume humide s'affalait dans le silence autour des caravanes. Sans le mouvement des corps et le chant des voix qui accaparaient l'attention, les choses à cet endroit de la terre ne dissimulaient plus leur laideur.