Quand on s'épouse on croit qu'on sera moins seul, mais comme on se trompe ! dit-elle. Oh! là là ! Oui ! Elle eut un rire édenté. C'est tout le contraire qui se passe, on l'est encore plus.
Moins on se parle moins on a besoin de se parler,pensait Nadia.
(...)
On est seul a savoir ce que l'on veut,lui dit Esther,fais comme tu crois bien de faire.
...
Oui,c'etait bien fini de rever.Un songe qui avait efface pour lui le monde et le temps se terminait la.Il fallait maintenant s'y resoudre.
Milena, Misia, Nadia. Les trois belles-sœurs étaient enceintes. […]
Elles sont trois fruits du printemps, une réponse au sort contraire, à la folie, aux amours malheureuses, à la mort, une audace et une grâce.
J’ai rien et je veux rien, je demande plus. Ses joues luisaient tellement qu’on aurait pu les croire mouillées. On a toujours envie de quelque chose, dit Esther émue. Angéline secoua la tête : Non. Esther dit : Vous n’avez envie de rien ? L’autre secouait toujours la tête et cela ne ressemblait qu’à la vérité : ce qui se perdait dans la misère c’était aussi le désir et l’élan vers l’avenir.
"Il était troublé par cette idée qu'une femme peut en remplacer une autre : on aimait successivement, mais est-ce que c'était de la même façon ?"
La vie reprit son cours précaire. La police vint au potager à deux reprises : le camp des Gitans occupait une propriété privée. Mais ce n'était qu'une intimidation, car la vieille institutrice, alertée par la mairie et les pétitions déjà nombreuses, refusait de porter plainte (cela rendait illégale toute démarche d'expulsion). Le spectacle ravissait les enfants : les sirènes hurlantes et les lumières clignotantes, les matraques et les revolvers accrochés aux ceintures, v'là encore les gendarmes ! criaient-ils alors. Angéline restait assise, les pieds au bord du feu, le menton dans les genoux, sans prêter un regard à ces manoeuvres.
Qu’Angéline eût à ce point un empire sur ses enfants, voilà ce qui agaçait le plus Héléna. Mais elle n’avait jamais pris le temps de trouver la raison de cette domination, au lieu de quoi elle tirait dessus sans réfléchir.
Angéline avait trois secrets : elle savait ce qu’elle voulait, elle avait compris ce qui était possible (c’est-à-dire que tout ne l’était pas) et aussi ce qui se tait avec profit. Cela faisait beaucoup de sagesse.
Elle pressentait que les mœurs changent plus que le fond des âmes.
Qu'est-ce qu'on avait d'autre dans la vie que se caresser pour le plaisir, se disputer pour le soulagement et s'endormir pour l'oubli ? demandait-elle.
... il avait dans son lit une amante. Angéline l'avait deviné, puisqu'elle percevait les animations secrètes de la chair : elle savait qui avait ce don de la vibration, de l'accord et de l'alliance. Nadia l'avait, et Misia aussi Nadia était la féminité de l'amour. Dans le désir lui venait une fluidité de loutre, et de cet animal elle avait aussi la coquinerie et l'effroi. Antonio avait l'impression d'une femme à la fois lascive et mutine, qui savait jouer et se donner. Et cependant il courait.