Les larmes et la douleur sont deux choses différentes
— Je ne veux pas que ma mère disparaisse angoissée pour ses enfants.
— Alors apaise-la !
— Et comment ? »
Elle sourit :
« Avec des mensonges. C’est beaucoup mieux que les tranquillisants. »
Nous vivions dans un tel désordre ! Des fragments de nous-mêmes partaient dans tous les sens, comme si vivre signifiait s’éparpiller sans cesse
Je les sentais toutes les deux hostiles à ma nouvelle vie : si d’un côté cela me semblait la preuve que j’étais enfin devenue quelqu’un d’autonome, je me sentais d’autant plus seule et à la merci de mes problèmes.
"« La loi, c’est bien quand t’as en face de toi des gens qui se mettent au garde-à-vous rien qu’à entendre le mot loi. Mais ici, tu sais comment c’est. — Alors quoi ? — Alors, si les mecs n’ont pas peur de la loi, c’est à toi de leur faire peur. Le connard que t’as vu tout à l’heure, on a beaucoup bossé pour lui, mais vraiment beaucoup, et maintenant il veut pas payer, il raconte qu’il a pas de fric ! Je l’ai menacé, je lui ai dit : Je vais porter plainte. Il a répondu : C’est ça, porte plainte, qu’est-ce que ça peut foutre ! — Mais tu vas porter plainte, non ? » Elle eut un rire : « Comme ça je reverrai plus jamais mon argent ! Il y a longtemps, un comptable nous a volé des millions. On l’a viré et dénoncé. Mais la justice n’a pas bougé. — Et puis ? — Et puis j’en ai eu marre d’attendre et je me suis adressée à Antonio. L’argent est tout de suite revenu. Et celui-là aussi reviendra, sans procès, sans avocats et sans juges. »"
Elle enchaînait un mot après l'autre sans aucune pause, et à un moment donné, elle passa son bras sous le mien, selon une vieille habitude. Ce geste me laissa indifférente. Elle veut se convaincre que nous sommes toujours les mêmes, me dis-je, mais le moment est venu de reconnaître qu'au contraire nous nous sommes consumées mutuellement ; ce bras, c'est comme un membre en bois, ou bien le résidu fantomatique du contact émouvant d'autrefois.
J'avais remarqué depuis longtemps que chacun organise sa mémoire selon ce qui l'arrange, et aujourd'hui encore, je me surprends à le faire moi aussi.
Lila commença à me fixer, bouche entrouverte
Comme toujours elle s'attribuait le devoir de me planter une aiguille dans le cœur, non pour qu'il s'arrête mais pour qu'il batte plus fort. Elle avait les yeux en fente et son large front était plissé. Elle attendait ma réaction. Elle voulait que je hurle, que je pleure et que je m'en remette à elle. Je dis doucement : "Maintenant, il faut que j'y aille."
J’avais remarqué depuis longtemps que chacun organise sa mémoire selon ce qui l’arrange
Rends moi service : montre ces pages au professeur Sarratore, comme ça il comprendra comment on peut transformer n'importe quel texte en une lecture passionnante.
- Nino, je ne le vois plus.
- C'est peut-être pour ça que tu es aussi en forme !