Dead Rider : Crown of Souls

Ce tome comprend les 4 épisodes de la minisérie qui forme une histoire complète et indépendante de toute autre. Il contient l'épisode 1 paru en 2007, l'épisode 2 paru en 2008, ainsi que les épisodes 3 et 4 jusqu'alors inédits, tous écrits, dessinés, encrés et mis en couleur par Kev Ferrara.

L'action se déroule en 1892, quelque part dans le Nevada. Cobra (un cowboy) est en train d'épier l'avancée du général Cavanaugh et de son régiment de cavalerie. Il est satisfait : les faux indices qu'il a laissés les ont détournés de leur chemin vers la ville de Magruder. Lui-même est épié à son insu par un chaman indien.

Cobra pénètre dans le bar de Magruder et exige de savoir où se trouve le Dead Rider. Les clients se carapatent. le shérif Thadeus Jasper épie la scène de loin, mais le barman finit par lâcher le morceau : Madame Labarie (la tenancière de la maison close à l'orée de la ville) saurait quelque chose. de son côté, le Dead Rider (Jacob Bierce) se concerte avec le chaman, à propos de l'emprise qu'a la sorcière des marais (Bog Witch) sur lui.

La couverture ne donne que moyennement envie de jeter un coup d'oeil à l'intérieur, pas facilement lisible, avec des couleurs très sombres. Mais l'encrage de ce dessin attire l'oeil par sa finesse et sa parenté avec le travail de Bernie Wrightson (voir par exemple Creepy presents Bernie Wrightson ou Bernie Wrightsons Frankenstein).

La scène d'ouverture déconcerte également, avec des cases sans bordure, et des couleurs mariant violet, vert et ocre. Néanmoins Cobra a un petit air de Lee van Cleef assez agréable dans sa gabardine. La suite est tout aussi déstabilisante. La filiation spirituelle avec le travail de Bernie Wrightson est bien présente, avec un encrage tout en finesse, des textures magnifiques (le cuir d'une reliure de livre par exemple), quelques postures et cadrages accentuant l'effet dramatique. le choix des couleurs continue d'être très personnel avec une prédilection pour l'ocre qui enracine chaque séquence dans la terre poussiéreuse de l'environnement.

En fonction des séquences, Kev Ferrara peut faire varier sensiblement son approche graphique pour glisser vers le grotesque (évoquant alors le travail d'Eric Powell (voir Chinatown dans la série "The Goon"), ou vers un encrage plus sec et plus coupant, ou encore vers des teintes pastel appliquées à même les crayonnées. Kev Ferrara peut même utiliser 2 approches différentes sur une même page, changeant de l'une pour l'autre le temps d'une case.

Une fois acclimaté à ces influences, le lecteur peut pleinement apprécier la narration visuelle de l'auteur. Il regrette de temps à autre que les couleurs trop sombres en viennent à masquer une partie de l'encrage. Une fois écarté ce défaut mineure et limité à quelques cases, il observe avec plaisir cette version personnelle d'un western mâtinée de surnaturel. La reconstitution visuelle de l'époque et des cowboys est satisfaisante en termes de densité et d'authenticité.

Kev Ferrara réussit à recréer le meilleur de ces récits d'horreur de type EC Comics, ou ceux des anthologies de DC, avec des visuels à la hauteur des artistes d'EC Comics, et une certaine liberté formelle quand il choisit de changer de mode de représentation, dans un récit plus long.

Grâce à ses solides compétences artistiques, Kev Ferrara réalise un amalgame bien intégré des conventions du western et de l'horreur. le lecteur prend plaisir à déambuler dans les rues poussiéreuses de la ville de Magruder, à regarder les formes torturées des arbres, à chevaucher aux côtés du Dead Rider à pénétrer dans un cimetière lugubre. L'auteur sait rendre palpable son mystérieux cavalier mort, et y apporter une touche personnelle.

La découverte progressive de l'intrigue permet d'apprécier aussi sa construction un peu tortueuse. Ferrara n'a pas retenu un mort vivant générique qui débite ses ennemis, pour une simple vengeance. le lecteur apprend peu à peu qui était Jacob Bierce, et en quoi son état de mort vivant n'a rien d'enviable. L'auteur sait aussi bien utiliser une convention comme le duel au soleil, ou encore le tireur expert auquel tous les autres souhaitent se mesurer, que donner une dimension tragique au Dead Rider.

Au travers de ces péripéties, Kev Ferrara montre un individu qui a obtenu ce qu'il voulait (l'immortalité) et qui doit en payer le prix fort. Il doit à la fois assumer sa qualité de tireur réputé (c'est-à-dire un défi pour tous les prétendants au titre) et trouver le moyen de se défaire de son immortalité (renoncer à ce qu'il a chèrement acquis).

Alors que le lecteur pouvait craindre un succédané de western surnaturel avec justice poétique, il découvre un artiste original maîtrisant les techniques de ses prédécesseurs, et une histoire qui n'est pas un simple prétexte étiré sur 4 épisodes.