Le secret c'est parfois l'ombre d'un silence, une parole volontairement tue. C'est aussi ce qu'on ignore parce que cela se situe hors de la connaissance commune, le secret des tombes et de la mort, le secret des origines, du sang. Ce peut être ce qui s'oublie
dans le secret des tris de la mémoire.
Ainsi de génération en génération, le silence éteint ces zones de mémoire sans cependant en interdire l'accès à ce que sont rêves, passions et autres pulsions, comportements spontanés peu accessible à la conscience.
Ici en Corse, une histoire simple et limpide peut alimenter des heures, des mois, voire des années de conversations. Mais quand cette histoire est âpre et délicate, un regard suffira à l'évoquer et chacun pensera, sans doute à tort mais qui peut le dire, que c'est bien suffisant.
Le mot échappé qui aurait dû se perdre dans le petit matin réveille et révèle le personnage principal et à sa suite les protagonistes passés et présents de cette histoire; lesquels d'origines ou de vécus différents incarnent tous ce pays, son histoire, ses habitants comme ses paysages.
Brutale, l'incompréhension vient de ce qui est dit et révèle en chacun sa part du mensonge, sable sur lequel il croyait bâtir sa vie. C'est la force des mots que d'entraîner le besoin de savoir, dire, comprendre, retrouver ses fondements propres que l'on a en partage avec d'autres. La connaissance qui permet de nommer sa douleur sans jamais en dénouer les fils dans l'éternel présent de la mémoire.
Qu'il vive dans l'hypocrisie ou la déchéance, selon un principe de vie ou de mort, nul n'est responsable de ses choix au-delà de la petite liberté que lui laisse le groupe, comme nul n'a la possibilité, non plus, d'y échapper.
En lisant
Jérôme Ferrari j'avais la sensation de traverser ma ville un de ces jours d'hiver sous un ciel très bleu. l'arbre de la place étire ses branches dans tous les sens, peu ou pas d'étrangers, des yeux qui se cherchent pour s'assurer qu'ils se reconnaissent, on fait partie du même corps, un signe du menton au plus, …on a tant à se dire, une autre fois, dans une autre vie, peut-être.
Il écrit, décrit, magnifiquement, c'est un livre corse à valeur universelle. L'auteur n'a de cesse d'accompagner son lecteur de son style dense et contemporain qui jamais ne faiblit. On est vite partie prenante de cette histoire qui touche à l'essentiel, comme le font nombre d'histoires méditerranéennes depuis que les hommes écrivent.
Et puis il y a l'espoir, né quelque part,
dans le secret, celui qui clôt le livre par ces mots : tout va bien.
Dans le secret,
Jérôme Ferrari,
Actes Sud 2007.