La prose subtile et le style impeccable, "La libraire" n'en reste pas moins un livre qui peut échapper à son lecteur. Pourquoi? Car contrairement aux divers synopsis qui pourraient évoquer un feel good book, la tournure des événements tels qu'ils se déroulent dans La libraire s'en éloigne bien vite. Un fois le postulat de base posé, on s'imagine que la frêle et solitaire héroïne va trouver à révolutionner le quotidien de ce petit village encroûté grâce à la littérature et que Violet Gamart, cette vieille peste, se verra reniée par les habitants de Hardborough. Eh bien non. Sans spoiler les lecteur, il faut quand même savoir à quoi s'attendre et reposer le livre si on préfère les happy ends.
Cependant, "La libraire" ne sombre pas pour autant dans une totale noirceur. L'auteure y dépeint avec réalisme le tableau d'un village fictif (mais qui se veut le reflet de tant de réelles petites bourgades – d'ailleurs, Hardborough est directement inspirée de la ville côtière de Southwold, également dans le Suffolk) qui barbote avec complaisance dans la même routine depuis des décennies. Cette situation permet à quelques rares personnes sachant tirer leur épingle du jeu de s'autoproclamer figures dominantes, à l'image de l'influente Violet Gamart qui s'en prendra à Florence tout simplement parce qu'elle refuse qu'on marche sur ses plates-bandes. Dès lors, tous les coups sont permis pour faire tomber celle qu'elle considère comme une rivale personnelle : alliances, rumeurs, médisances... tout ce qui constitue les aspects les plus vains d'une petite communauté sectaire et embourgeoisée sont là. L'élite autoproclamée et son obséquiosité sournoise parviennent à déclencher, à la façon du battement d'ailes du papillon, l'enchaînement d'événements qui pousse l'héroïne dans ses retranchements.
Héroïne qui se trouve dès lors très malmenée mais qui, à l'image du roseau, s'efforce de ne pas rompre. Comment ne pas s'attacher à elle? Florence est un personnage qui nous ressemble ou qui, du moins, s'écarte de l'héroïne traditionnelle de fiction par sa simplicité et même, par ses défauts. D'apparence peut-être trop douce ou trop sage, elle n'en cultive pas moins un sens du répondant qui lui permet de réduire à néant plusieurs tentatives d'intimidation de ses détracteurs. Au fil de la lecture, on sent naître en nous une réelle empathie à l'égard de cette veuve qui, arrivée à la moitié de sa vie, se lance dans l'ouverture d'une librairie afin d'en faire un lieu de chaleur et d'échanges voué à la littérature. Parmi les personnages charismatiques imaginés par P.Fitzgerald, Mr Bundish passe de vague personnage relégué à l'arrière-scène avant de s'imposer (et d'en imposer) progressivement comme un allié de choix, parce qu'il fait partie de ceux qui ont décidé de rester solitaire et non pas de se réfugier dans le giron de Mrs Gamart. N'oublions pas la petite Christine, cette curieuse petite fille qui, le temps de quelques heures à épousseter les étagères de la librairie, laisse à Florence l'espoir que sa boutique apportera du bien à ceux qui la fréquentent. On comprend très vite que l'auteure a une affection toute particulière pour les individus qui, derrière leurs abords insignifiants, se démarquent comme êtres à part.
Il est par ailleurs surprenant, pour un livre si court, de parvenir ainsi à si bien dessiner ses différents protagonistes tout en racontant le quotidien d'Hardborough sur une longue période, et ce sans interrompre le récit d'incessantes ellipses. Tout y est fluide et nuancé, comme coloré de ces diverses teintes de gris des paysages qu'on nous décrit, des vieilles pierres de the Old House aux couleurs de la mer du Nord. On ne sait pas toujours où l'auteure veut exactement en venir avec les manifestations du fantôme cogneur de la librairie, ni si la morale de son histoire est qu'il faut se résigner lorsqu'on a tout perdu dans la lutte pour la survie, ou au contraire agir pour espérer renverser la balance. le final nous laisse à ce titre quelque peu mal à l'aise et on referme ce livre en méditant sur l'injustice inhérente à la loi du plus fort.
En bref : Même si "La libraire" est loin d'être un feel good book, ce roman de P.Fitzgerald est à lire pour le tableau aigre-doux qu'elle donne à voir de la campagne anglaise des années 50, engluée dans une routine dominée par l'échelle des classes. Fluide et porté par des personnages particulièrement réalistes de simplicité, ce livre donne à réfléchir sur la violence sourde des petites communautés trop repliées sur elles-mêmes.
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