La Vie heureuse

Il arrive qu’on se quitte tout comme on meurt paisiblement en plein sommeil.

Quand il y repenserait plus tard, il lui serait impossible de déterminer combien de temps il était resté ainsi. Les minutes paraissaient elles-mêmes incertaines. Il lui serait également dificile de se souvenir avec précision des pensées qu'il avait eues. Il semblerait à Éric avoir vu quelques visages, dont ceux de son père et de son fils, puis il s'était promené dans certains moments du passé, avant de laisser sa conscience se perdre dans un no man's land, sorte d'errance où les images mentales ne possèdent plus la capacité de s'accrocher à quoi que ce soit. Jamais il ne s'était senti aussi bien, comme apaisé de tout, délesté du poids de la vie. Il était là, immobile, dans le noir et le silence, et c'était une caresse infinie. En laissant ses sens expérimenter la mort, il ressentait un bonheur proche de la jouissance. Il respirait doucement, se concentrant uniquement sur son souffle. Le néant s'emparait de lui avec douceur, dans ce voyage statique vers l’essentiel.

Outre la pression ininterrompue que subissait une partie de la population, on constatait une recrudescence particulière des drames chez les jeunes de dix-huit à trente-quatre ans. La peur de l’avenir se faisait de plus en plus oppressante, renforcée par une dangereuse soumission à la réussite, et une humiliation en cas d’échec. Cette société largement fondée sur l’apparence (tant de jeunes femmes se faisaient faire le même visage, dans le souci de ne pas déroger à des canons de beauté standardisés) laissait de côté ceux qui ne parvenaient pas à atteindre ce qui était considéré comme le succès. C’était sur ce terreau fertile que prospérait Happy Life, tentative presque mystique de fournir un antidote au désespoir. Le concept reposait sur une constatation simple : être confronté à la mort pouvait vous permettre de retrouver le goût de la vie.

« N’y a-t-il pas une forme de renoncement au présent dans toute exaltation du passé ? »

On sentait qu'elle abordait la quarantaine tel un rendez-vous avec l' apogée se sa sensualité.

Certaines vies semblent ainsi être écrites contre l'avis de leur auteur.

Offrir au désir des habits de patience
(P201)

Mais à cet instant précis, il se sentait comme hermétique aux enjeux du réel.

Les hommes sont incapables de partir, pensa Amélie. Incapables de partir s'ils n'ont pas quelqu'un d'autre en vue.

Vient un temps où l'on doit renoncer à sauver l'autre pour se sauver soi