Depuis des heures, les fonctionnaires du TGI de Paris et tous les flics du mythique « 36 » pliaient les gaules. La brigade criminelle, où elle était chef de groupe, était logée à la même enseigne que celles des stups ou de l’antigang. Tous les services migraient vers la nouvelle cité judiciaire des Batignolles : un large ensemble flambant neuf et hypersécurisé du XVIIe arrondissement, au bout de l’avenue de Clichy.
Elle prit la carabine et cala la crosse contre son épaule. Elle sentait la douceur ivoire du fût dans sa main. Le doigt sur la détente, elle retint son souffle.
Le chien avait remarqué sa présence ; il grognait.
Ne pas paniquer, respirer calmement.
Elle attendit que l’homme entre dans sa ligne de mire.
Au bout d’un long moment, l’humidité et le froid rongèrent les couches de ses vêtements. Elle avait pensé emmener de quoi grignoter, mais les journaux regorgeaient de malfrats trahis par leur ADN pour un crachat ou un trognon de pomme oublié sur une scène de crime. Pas question de faire cette erreur.
Elle fit doucement glisser la fermeture du sac et sortit la carabine. C’était un fusil de chasse à un coup. Elle vérifia encore la culasse et sa balle en plomb à tête creuse. Ses doigts couraient le long de la crosse patinée par le temps. Elle songea à son père qui l’avait emmenée tant de fois pour traquer le gibier. Il leur avait toujours interdit de s’en servir, à elle et à sa sœur. Mais depuis qu’il était mort, elle avait récupéré l’arme fétiche. Elle n’avait jamais pensé l’utiliser un jour. Pourtant, il y avait un mois tout juste, le destin s’en était mêlé.
Son patron la regardait avec bienveillance.
— Tu es chanceuse, tu sais. Obtenir Nantes, c’est déjà coton, mais la PJ, par-dessus le marché ! J’avoue que j’avais fait suivre ton rapport sans trop y croire.
Isabelle prit un tabouret et sembla fixer un point abstrait dans son verre.
— Paul, tu as dû donner un sacré coup de pouce au hasard. Les syndicats se foutaient de moi en prétextant qu’il y avait une demi-douzaine d’officiers bretons prêts à tuer père et mère pour respirer de nouveau les embruns du grand Ouest.
— Oui, mais combien peuvent se targuer d’avoir un boss qui fraye dans le même chapitre du Rotary que le manitou du bureau du personnel ? C’est le genre de détail qui fait la différence.
— Merci, Paul…
— Si tu n’avais pas fait cette demande pour t’occuper de ta mère, je n’aurais pas levé le petit doigt pour t’aider. Tu es mon meilleur élément. Une chef de groupe comme toi, je n’en reverrai pas de sitôt.