On a tous le souvenir de ces rédactions d'école élémentaire où la gentille maitresse ou le maitre sévère mais juste (rayez la mention inutile) nous demandait de raconter un Dimanche après-midi, nos vacances chez les grands-parents ou encore faire un portrait de notre papa. Un classique. Ca ne prenait guère plus d'une page quadrillée grands carreaux avec une marge bien large pour gagner un brin de place sur le peu que nous avions à écrire. Non qu'il n'y avait rien à dire, mais nous ne savions pas comment le mettre en mots. Et puis c'était un peu gênant de dire des choses aussi intimes à un étranger, même si la gentille maitresse ou le maitre sévère mais juste, ils étaient comme un peu de la famille.
Jean Louis Fournier a attendu d'avoir 60 ans pour composer cette rédaction si particulière. Avec un style enfantin mais parfaitement maitrisé, il nous parle de son papa. Pas de son père, non, ce n'est pas la même chose. S'il avait raconté son père, on aurait senti la distance qu'instaure automatiquement le vouvoiement par exemple. On aurait flairé une écriture
trop cérébrale pour dire ce qu'il y a dans le coeur. Il est bien question de son papa, et puisque c'est son papa, il l'aime bien. Même si celui-ci passe sa vie au bar, dans les cafés, les bistrots à entretenir son foie d'alcoolique. Pourtant le papa de
Jean Louis a un vrai métier. Il est docteur. Il soigne les gens. Parfois pour rien. Son papa, il soigne les gens, il ne se contente pas de soigner son image de marque (grosse voiture sportive, pavillon éclatant dans un quartier huppé, vacances aux Baléares l'été, à Courchevel l'hiver). de toute façon, le papa de
Jean Louis ne part jamais en vacances. Bien sûr, parce qu'il passe autant de temps devant un comptoir qu'en consultation, il est parfois un peu violent, le papa de
Jean Louis. Mais il n'a jamais levé la main sur quiconque. Pas même sa femme. C'est-à-dire la maman de
Jean Louis. Lorsqu'il rentre tard, il a bien du mal à enclencher sa clé dans la serrure de la porte d'entrée. Et plus ça prend de temps, moins c'est bon signe. Il ne sera pas d'humeur à rigoler, le papa de
Jean Louis. Avant de s'effondrer dans le couloir, il aura gueulé un bon coup.
Chaque chapitre qui n'est pas plus long qu'une bonne vieille rédaction, c'est-à-dire une page d'un petit livre de poche, contient le mot papa. Et on pense forcément aux aventures de Martine. Il y a Papa et le curé, Papa et son vélo, le violon de Papa, Papa parle latin, Papa et les indiens, Papa à l'hôpital, Papa projectionniste, Papa et les gendarmes…
Alors, bien sûr, quand le papa de
Jean Louis y meurt, tout le monde est triste. Ses clients, parce c'était un bon docteur, le papa de
Jean Louis. Les cafetiers du coin, parce qu'il était un bon client, même qu'un avait déclaré que le papa de
Jean Louis avait subventionné son établissement. le petit
Jean Louis ne connaissait pas le mot subventionner. Heureusement il avait regardé la définition dans le gros dictionnaire. Et puis,
Jean Louis lui-même était triste à l'enterrement de son papa et, maintenant qu'il a plus que l'âge de son papa quand il est mort, il regrette de ne pas l'avoir mieux connu. Classique.