Ce tome fait suite à ODY-C Volume 1. (épisodes 1 à 5) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Il comprend les épisodes 6 à 10, initialement parus en 2015/2016, écrits par Matt Fraction, dessinés, encrés et mis en couleurs par
Christian Ward. Il s'agit d'un récit qui constitue une interprétation très personnelle de l'Odyssée d'
Homère.
À bord de son vaisseau spatial, la reine Ene se bat contre les éléments déchainés, sans savoir quel titan sème de telles embûches sur sa roue pour l'empêcher de retourner chez elle. de son côté, Lui, le dernier homme survivant de Troiia-VII se retrouve livré à lui-même, Ene n'ayant pas de temps à lui consacrer, Lui n'ayant pas à satisfaire ses ordres et ses désirs. Il décide de profiter de la bibliothèque à sa disposition et de lire pour se cultiver. Il lit une histoire ancienne et mythologique, mais également une chronique de la vie de ces individus. Herakles est allongé par terre dans une clairière, feignant d'être inconscient.
La Louve débouche dans la clairière et s'approche d'Herakles. Celui l'agrippe au poignet, la jette à terre et la viole. Les autres membres du clan de la Louve ont tout observé depuis l'abri de la forêt et ont apprécié son sacrifice. Une fois son forfait accompli, Herakles se vante de ses hauts faits en racontant ses aventures à Louve. Celle-ci finit par pouvoir en placer une et lui raconte l'histoire d'Inanna, la déesse prostituée et d'A-Le-Tuda, le pire fermier ayant jamais foulé la terre. La providence le fait arriver devant Inanna endormie à même le sol, et il la viole. Après coup, Inanna demande à son père dieu de pouvoir se venger. Il accepte. A-Le-Tuda n'a d'autre possibilité que de fuir et de se cacher, mais Inanna finit par lui faire payer son forfait. Louve conclut en disant : les garçons qui violent seront tous détruits. Lui referme le livre et apprend de ce qu'il vient de lire.
Finalement le vaisseau d'Ene a atterrit sur la planète Q'Af. Un groupe de 4 sebbex est en train d'apprêter Lui, pour qu'il soit le plus beau possible à l'arrivée de sa reine Ene. Mais elle ne vient pas : il l'attend en vain. du coup, il retourne à la bibliothèque et se replonge dans l'histoire de Louve. L'accouplement non consenti avec Herakles a abouti à une grossesse et à la naissance de jumeaux : Hryar et Zhaman. Une fois arrivés à l'âge adulte, ils vagabondaient dans les forêts à la recherche de trésor. Un jour, ils découvrent le géant Hubabbadon allongé et endormi, et son épouse Delah à ses côtés séduit les deux jeunes hommes. Alors qu'ils commencent à se dévêtir, Humbabbadon se réveille et le combat s'engage. Il est tué par les jumeaux qui tuent également son épouse. Les jumeaux sont devenus les semi-divinités de la planète Q'Af, et sont farouchement opposés à toute forme d'esclavage. La reine Ene décide de prendre exemple sur eux, et elle rend sa liberté à lui. Il ne comprend pas : Lui demande à Ene ce qu'elle souhaite ce qu'il fasse. Les jumeaux lui expliquent qu'il doit s'approprier sa liberté. Lui s'interroge : sans elle, qui est-il ? Il erre dans les rues de la mégapole Q'Af et finit par aboutir dans le plus grand lupanar de la cité. Il y prend un emploi d'agent d'entretien.
Le lecteur commence ce deuxième tome bien accroché : il se souvient du principe de la série (une transposition de l'Odyssée dans le genre science-fiction, avec des personnages féminins). Il s'attend à retrouver Odyssia (l'équivalent d'Ulysse, version femme), et son vaisseau pour la suite de son odyssée de retour vers Ithaaca. Mais en fait il n'est pas question d'Odyssia dans ce tome : les personnages principaux sont Lui qui a le premier rôle (en termes de pagination), Ene, les jumeaux Hryar & Zhaman. le lecteur peut très bien envisager ce deuxième tome comme une histoire avec une intrigue. Sur ce plan, la narration semble emplie de digressions, mais elle progresse jusqu'à une résolution. Il est donc possible d'apprécier l'émancipation de Lui, libéré de son état d'esclave, sa rencontre avec un jeune garçon, uniquement appelé Garçon, le développement de leur relation et leur sort face aux jumeaux Hryar & Zhaman. le lecteur constate qu'il y a un deuxième fil narratif principal : le devenir d'Ene. Suite aux éléments déchaînés, son vaisseau et elle ont abouti sur une planète (Q'Af) dont il n'est pas possible de s'échapper parce que Protée en empêche tout départ. le lecteur suit la tentative d'Ene, ayant recruté 5 hommes de main, pour tenter une évasion. le lecteur avait peut-être conservé la conviction qu'Ene était un substitut pour Énée, l'un des héros de la guerre de Troie, déduisant alors que ce deuxième tome d'Ody-C allait réinterpréter l'Énéide de
Virgile. Autant dans le premier tome, il pouvait identifier des éléments transposés de l'Odyssée, autant il est bien en peine de le faire pour ce deuxième tome.
Comme pour le premier tome, ce récit est autant un voyage poétique qu'un voyage visuel : c'est une expérience de lecture différente, expérimentale, tout en étant très cadrée. Les dialogues ne figurent pas dans des phylactères habituels, mais dans des petits cartouches, avec une numérotation séquentielle pour la première de chaque nouvelle séquence et un fond de couleur indiquant quel personnage parle, ou s'il s'agit de l'auteur racontant l'histoire. La narration visuelle reste tout aussi flamboyante et singulière que dans le premier tome, sans aucune baisse de qualité l'artiste étant impliqué dans chaque planche de la première à la dernière.
Christian Ward dessine de la même manière que pour les épisodes 1 à 5 : à l'infographie, détourant les personnages, les accessoires et les principaux contours d'un trait fin, puis ajoutant des informations visuelles dans chaque élément, comme s'il travaillait en couleur directe pour chaque surface délimitée. Au fil des séquences, le lecteur est saisi par des visuels mémorables et surprenants par leur force ou leur poésie : Herakles couchée sur Louve alors que tombent des feuilles d'automne, l'apparence acidulée d'Inanna avec sa peau rose fuchsia, la planète Q'Af en forme de dodécaèdre ballottée dans des vents cosmiques, Lui dans son plus beau costume, apprêté par les sebbex, avec les ornements et son étui pénien (sans oublier un col immense évoquant des plumes de paon), la fête de la chair dans les différentes vues du lupanar, l'union du mari de Zhaman et de l'épouse de Hryar dans une page de 25 cases pour une composition enchevêtrée étourdissante et haletante, le massacre des deux amants par leurs époux au cours de 6 pages silencieuses mêlant sang et fleurs (hallucinant), les violeurs construisant un ossuaire s'étendant à perte de vue, Protée engloutissant Ene dans sa gueule, Ene gavée avec la chair de sa jambe, par Protée, etc. le spectacle visuel est de chaque page, sans nuire à la fluidité de la narration, avec une forte personnalité graphique, le rendant unique et singulier.
Les qualités de la narration visuelle ne se limitent pas à la mise en couleurs sophistiquées et échevelées, et à la mise en page inventive. Plus que dans le premier tome, le lecteur peut un peu mieux s'imaginer ce que pourraient être les pages sans la mise en couleurs. le lecteur ne voit pas juste des personnages hauts en couleurs s'agiter dans des décors exotiques. Il peut ressentir les émotions de Lui : son plaisir de la lecture, son habitude que l'on s'occupe de lui pour le vêtir et le faire beau, son désarroi lors de son affranchissement, son affection pour Garçon, sa douleur physique alors qu'il pénètre dans la chambre des jumeaux. Il ressent la candeur de Garçon, sa peine d'être maltraité par les clients, son plaisir non feint d'avoir l'idée de demander à Lui de continuer son récit, sa concentration pendant les leçons scolaires de Lui. Il regarde les visages de Hryar & Zhaman pour se faire une idée de leur état d'esprit lors de leurs conquêtes guerrières, lorsqu'ils mettent à mort leur époux/se d'une nuit. Les personnages ne sont pas réduits à l'état de dispositif narratif par la dimension mythique de l'histoire, et le lecteur peur se projeter en eux.
Le lecteur peut aussi considérer le récit au second degré, ce à quoi l'incite la forme même de la narration, à commencer par le choix de ne pas utiliser de phylactères. Il reste décontenancé par l'absence de lien avec l'Énéide. Il constate que Matt Fraction met également en oeuvre une narration plus personnelle, comme
Christian Ward. Cela commence avec les personnages qui ne sont nommés que par leur caractéristique physique dominante (ou leur fonction) : Lui (l'incarnation du bel homme destiné au plaisir des femmes), Garçon (un jeune homme pour une relation père/enfant dans un premier temps). le scénariste emploie également les récits enchâssés : Lui (personnage apparu dans une séquence dans le premier tome) devient le personnage principal et il lit une histoire (le viol perpétré par Herakles), dans laquelle la victime lui raconte également une histoire mettant en scène une déesse. Par la suite, l'histoire des jumeaux est racontée de manière fractionnée et non chronologique (sans être difficile à suivre pour autant) par différentes personnes pour différents interlocuteurs. le découpage des dialogues et leur présentation en brèves cellules de texte fait ressortir chaque phrase, parfois mettant en lumière sa portée universelle, ou son interaction directe ou second degré avec ce que montrent les images de la page. En fonction de sa sensibilité, le lecteur est plus ou moins réceptif à ces effets de style. le récit développe plusieurs thèmes, à commencer par celui de forces incontrôlables par l'individu, incarnées par des dieux (l'arbitraire de la vie), celui de la soumission d'un individu à un autre qui conditionne sa vie à celle d'autrui (Lui à celle d'Ene). Un thème revient à plusieurs reprises, devenant le thème principal, celui du viol, donnant lieu à une condamnation sans appel par la sentence : les garçons qui violent seront tous détruits.
Le lecteur ressort de ce deuxième tome, tout aussi déstabilisé que du premier : pas de suite de l'histoire dOdyssia, pas de rapport avec l'Énéide de
Virgile, une narration visuelle riche et particulière, une narration textuelle sans phylactère et souvent poétique, une dimension mythologique subvertie par l'inversion des genres mâle/femelle. C'est une expérience de lecture unique et merveilleuse, mais parfois confondante. Les auteurs donnent leur conclusion : les histoires sont tout ce qui importe.