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Critique de Isidoreinthedark


Certains écrivains « écrivent toujours le même livre » selon la formule consacrée et attribuée à Marcel Proust. Pete Fromm ne fait assurément pas partie de cette longue liste d'auteurs qui creusent inlassablement leur sillon et dont Patrick Modiano est l'une des figures emblématiques.

Les premiers ouvrages de l'auteur, le très beau récit autobiographique « Indian Creek » (qui donnera lieu à une suite, « le nom des étoiles »), les superbes recueils de nouvelles « Chinook » et « Avant la nuit » explorent une nature sauvage, indomptée et magnétique, perdue dans des contrées oubliées du nord de l'Amérique.

« Lucy in the Sky » et plus encore « Comment tout a commencé » marquent un premier tournant dans l'écriture de Pete Fromm qui dissèque la psyché adolescente d'héroïnes aussi rebelles qu'attachantes, approfondit avec tendresse la complicité qui unit un frère et sa soeur, et interroge les conséquences du surgissement de la folie.

Jusque-là, aucune faute, rien que du presque parfait, l'auteur marche parfois sur un fil mais rafle la mise, et ajoute une émotion indicible à la beauté immuable des paysages du Montana.

La parution de « Mon désir le plus ardent » marque une nouvelle évolution dans l'oeuvre de l'auteur en auscultant les tourments terrifiants que la sclérose en plaque fait subir à une jeune femme pleine de vie. Malgré le succès du roman, le trop plein de pathos d'un récit aux interminables accents mélodramatiques m'a absolument désappointé. le sujet à fort potentiel lacrymal de « La vie en chantier », qui voit une jeune maman mourir en couche, m'a conduit à passer mon tour.

C'est ainsi avec une certaine appréhension que je me suis plongé dans le dernier Pete Fromm, « le lac de nulle part ».

Trig et al (diminutifs respectifs de Trigonométrie et Algèbre), frère et soeur jumeaux, ont perdu le contact avec leur père mathématicien qui ré-apparaît dans leur vie pour « une dernière aventure », consacrée à sillonner en canoë les lacs du nord canadien. Dès le début de l'expédition, les deux jumeaux ressentent une inquiétude sourde, leur paternel si méticuleux et expérimenté, n'a pas effectué les préparatifs d'un périple empreint de nostalgie avec sa rigueur d'antan. Les trois adultes s'apprêtent pourtant à passer plusieurs semaines en totale autarcie dans une immensité immaculée de lacs, d'îles désertes et de forêts sauvages, au coeur du mois de novembre, qui voit les dernières frondaisons automnales céder la place à la rigueur menaçante de l'hiver.

Le roman explore une nature âpre, hostile, et belle à en mourir, où s'entremêlent l'immensité d'espaces inviolés, un froid à pierre fendre, la munificence des aurores boréales, la pêche à n'en plus finir, le rituel de la petite goutte de whisky et du joint partagé chaque soir au coin du feu et les ours noirs en maraude. du nature writing, du vrai !

La plus grande réussite de l'ouvrage est pourtant le mélange de tendresse et d'humour avec lequel l'auteur interroge la gémellité, cette relation aussi émouvante que singulière qui unit deux personnages hantés par les souvenirs de leur enfance. Trig conciliant et sérieux forme avec sa soeur al aussi rebelle que désinvolte un couple improbable, dont le sort est au fond le véritable enjeu d'un roman aux multiples facettes.

Le romancier aborde également la question de la maladie, et en particulier de la perte de mémoire qui semble toucher le père des deux jumeaux, et frôle une forme de pathos insoutenable, .

« La lac de nulle part » est ainsi un ouvrage protéiforme qui réussit le prodige de réunir en un seul roman tous les thèmes chers à Pete Fromm, de la beauté ineffable d'une nature indomptable, au lien indéfectible qui unit al et Trig, en passant par le surgissement progressif d'une forme de folie. Si Pete Fromm se montre magistral dans sa façon toute particulière d'aborder ses sujets de prédilection, j'ai néanmoins été une nouvelle fois été décontenancé par l'excès de pathos qui accompagne l'irruption inattendue de l'indicible au coeur de ce très beau roman.
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