Il arrive que l'alchimie entre un lecteur et un auteur ne se fasse pas, quand notamment le premier n'adhère pas au postulat proposé par le second. Cela m'est arrivé avec
Terre fragile de
Claire Fuller. Dès le départ, j'ai eu du mal à m'intéresser à ces jumeaux, homme et femme de 51 ans qui se comportent comme des gosses, habitent avec leur maman dans un taudis éclairé à la lampe à huile et à la chandelle, vivent en autarcie de leur production de légumes et d'oeufs, mangent des pommes fripées enveloppées dans des journaux de l'année précédente. Pour rappel, l'histoire se déroule bien de nos jours et pas au XIXème siècle. La mort brutale de leur mère les plonge dans le désarroi et comme un malheur n'arrive jamais seul, il neige en cette fin d'avril ! Quand ça veut pas, ça veut pas.
J'ai rapidement été gênée par l'atmosphère malsaine dégagée par ce roman, comme si le but de l'auteure était de dresser un catalogue exhaustif du misérabilisme. Pour exemple, la promiscuité avec le cadavre de maman, son stockage dans la masure durant plusieurs jours, son déplacement de la cuisine à la chambre par les jumeaux, les soins qu'ils lui prodiguent en lui mettant une culotte, n'apportent pas de valeur ajoutée à l'histoire, c'est seulement glauque. Je n'ai pas trouvé non plus que les jumeaux font « tout ce qu'ils peuvent pour s'en sortir », bien au contraire : ils sont équipés d'une force d'inertie peu commune, sont submergés par un formulaire à remplir ou un coup de téléphone à donner, et le bout de leur jardin est une frontière infranchissable. Jamais ils n'ont eu l'envie ni même l'idée d'explorer le vaste monde en allant jusqu'au village voisin pour chercher du boulot, ce qui n'a aucune importance puisque de toute manière, ils ne savent pas utiliser internet, ni remplir un dossier de candidature, envoyer un e-mail. Ah j'allais oublier : la jumelle est illettrée. Tout ça n'est déjà pas mal, mais avec le décès, une avalanche d'embrouilles les ensevelit... le meilleur reste donc à venir... A ce niveau de l'histoire j'avais déjà mon compte mais curieuse de voir jusqu'où était capable d'aller la romancière, j'ai persévéré, je n'ai pas été déçue. Des secrets sont annoncés par la 4ème de couverture. Malheureusement, comme tous les secrets de polichinelle, ils font pschitt.
Pour conclure, j'ai surtout été dérangée par un amalgame douteux.
Claire Fuller confond allègrement marginalité, pauvreté et violences infligées aux enfants. Des parents marginaux ou pauvres ne sont pas nécessairement toxiques, ne mettent pas forcément leurs enfants sous emprise, ne les séquestrent pas obligatoirement. Les jumeaux, dont on se demande comment ils ont survécu et résisté durant 51 ans, ont été surtout victimes – bien avant la pauvreté – de mauvais traitements psychologiques, de carences éducatives mâtinées de déscolarisations et d'absence de soins médicaux. A l'âge d'être parents ou grands-parents, ils sont des adultes infantilisés maintenus en état de dépendance affective par une mère manipulatrice. Quand on sait à quel point les services sociaux anglais sont chatouilleux, on se demande pourquoi ils ne sont jamais venus mettre leur grain de sel dans ce charmant cottage. Bref, un roman peu crédible surjouant la sensiblerie, des situations irréalistes, des personnages superficiels qui m'ont collé "Le bourdon" comme le dit mieux que moi
Paul Personne.