Les sommets acculant la ville contre la mer étaient couverts de neige.
La mer, ourlée d'écume, lançait des éclats feutrés, initiés par les mouvances d'un ciel en rémission.
Les rues boueuses étaient jonchées de ferrailles de toutes sortes : des fûts rouillés par centaines, des carcasses de voitures, conteneurs, camions et autres mécaniques dont l'usage ne venait pas spontanément à l'esprit.
Les immeubles les moins branlants avaient des rideaux colorés aux fenêtres, les autres voyaient leurs entrées condamnées.
Cinq longues journées. C’est fascinant comme le temps est élastique. On pense qu’il n’y a que 24 heures dans une journée alors que ça peut tout aussi bien être 18 ou 30. On devrait parler du temps « ressenti » comme on le fait avec le froid.
Ma Belette, tu me manques. Tu me manques affreusement. Je ne pensais jamais avoir à te dire cela un jour, encore moins le ressentir au fond de moi jusqu’à en avoir la nausée. Parce que je ne t’ai jamais imaginée ailleurs que dans mes bras. Je dois te demander pardon pour tout ce que je n’ai pas su voir, pas su entendre. Pardon pour mon aveuglement. Pour toutes mes promesses non tenues, pour mes mouvements d’humeur. Je n’ai pas su te protéger. L’impensable s’échafaude en moi comme le crime dans les esprits pervers et déviants. Sauras-tu me pardonner ? Je rumine les moments passés près de toi, contre toi, chacune dans la chaleur de l’autre. J’ai peur de la nuit et ici elle est sans fin. Une nuit qui taraude l’esprit, le perce de multiples trous pour le vider de sa substance. Qui sait ce que je serai devenue quand le soleil se lèvera. Je te reviens, Zora, prends la main de Romane et guettez-moi…
-Evgueni, vous êtes nombreux à chercher de l'ivoire ?
-Cet été, on a rencontré une dizaine de gars...
-Qu'est-ce que vous risquez ?
-La confiscation de l'ivoire et un séjour en prison. Il faut payer les militaires pour éviter ça. Il arrive qu'ils veuillent aussi nos femmes ou nos filles...
La corruption des militaires est bien connue ici et personne n'ignore qu'il vaut mieux de pas avoir affaire à eux.
- Nous les éleveurs iakoutes, nous calculons les distances en chansons. Nos anciens faisaient ça et mon père me l'a enseigné. C'est pratique pour se situer dans la toundra et ça garde l'esprit en joie.
L'homme est ainsi fait. Il est si cupide ! Il ensemence la planète de projets mortels sans trembler. Si la souffrance produisait une énergie exploitable, je ne doute aucunement que l'un d'entre nous aurait depuis bien longtemps eu l'idée de créer des centrales à géhenne pour produire de l'électricité. Et notre conscience aurait fini par s'en accommoder.
" A mes yeux, monsieur et cher éléphant, vous représentez à la perfection tout ce qui est aujourd'hui menacé d'extinction au nom du progrès, de l'efficacité, du matérialisme intégral, d'une idéologie ou même de la raison, car un certain usage abstrait et inhumain de la raison et de la logique se fait de plus en plus le complice de notre folie meurtrière. Il semble évident aujourd'hui que nous nous sommes comportés tout simplement envers d'autres espèces, et la vôtre en particulier, comme nous sommes sur le point de le faire avec nous-mêmes " (Romain Gary) ... Je peux te refaire la lecture en remplaçant "cher éléphant" par "cher loup", si tu veux. Ce ne serait pas moins vrai.