Cormoran Strike, tome 4 : Blanc mortel

Quelle chose merveilleuse que de reprendre espoir alors que tout semblait perdu.

Mais le malaise qui avait pris possession de lui ne le quittait pas. Bien au contraire, comme un chien qui réclame sa pâtée, il revenait constamment au-devant de son esprit.

Tel est le désir universel de gloire, que ceux qui y parviennent par hasard ou contre leur gré ne doivent s’attendre à aucune pitié.

Matthew l’avait sciemment privée de la seule chose qui aurait été susceptible de la sauver et dont elle pleurait la perte chaque nuit, quand tout le monde dormait : l’estime d’elle-même.

La porte claqua.
Strike et le chat tigré se regardèrent. Avec un air dédaigneux, l’animal posa son arrière-train sur le paillasson et démarra sa toilette, comme pour lui signifier que ses problèmes lui passaient loin au-dessus de la tête.

Le soir tombait. Un rayon de soleil oblique vint caresser le bloc ouvert sur son bureau, révélant un léger relief. Strike posa sa cigarette dans un cendrier qu’il avait volé autrefois dans un bar en Allemagne, attrapa le carnet et le pencha d’un côté et de l’autre pour tenter de déchiffrer les caractères en négatif. Puis, avec un crayon à papier, il noircit délicatement la surface de la feuille. Les lettres capitales étaient mal alignées mais on lisait clairement « Charlemont Road ». Billy avait dû appuyer moins fort pour le numéro de la rue. Strike crut deviner un 5 ou alors un 8 incomplet, mais d’après l’espace occupé sur la feuille, il y avait au moins deux chiffres, ou bien un chiffre et une lettre.
Son incurable passion pour les situations insolites et les énigmes apparemment indéchiffrables rejaillit brusquement à la surface. Malgré la faim, la fatigue, et l’envie qui le tenaillait de monter chez lui, il arracha la feuille, passa dans la pièce voisine et alluma l’ordinateur.

TEL EST LE DÉSIR UNIVERSEL DE GLOIRE, que ceux qui y parviennent par hasard ou contre leur gré ne doivent s’attendre à aucune pitié.
Après la capture de l’Éventreur de Shacklewell, Strike avait craint pendant des semaines que sa réussite, la plus retentissante de sa carrière, ne porte un coup fatal à son agence de détective. Les deux affaires précédentes lui avaient valu un certain battage médiatique mais ce n’était rien comparé à la catastrophe qui menaçait à présent de s’abattre sur lui en détruisant tout ce qu’il avait patiemment construit. La viabilité de l’agence pour laquelle il avait tant œuvré, tant sacrifié, reposait en grande partie sur la discrétion. Strike devait pouvoir arpenter les rues de Londres sans craindre d’être reconnu. Or, après la capture du tueur en série, la conscience populaire s’était emparée de la figure du talentueux détective, faisant de lui un être hors norme, un sujet de débat télévisé, bref un objet de curiosité d’autant plus attirant qu’il refusait de se prêter au jeu des médias.

People talked of things passing in a blur after a shock, but it was not like that for Robin. The room around her remained only too visible, every detail distinct : the brillant squares of light that fell through the curtained windows, the enamel brightness of the azure sky beyond the glass, the damask tablecloths obscured by elbows and disarranged glasses, the gradually flushing cheeks of the scoffing and quaffing guests, Aunt Sue's patrician profile unsoftened by her neighbours' chat, Jenny's silly yellow hat quivering as she joked with Strike. She saw Strike. Her eyes returned so often to his back that she could have sketched with perfect accuracy the creases in his suit jacket, the dense dark curls of the back of his head, the difference in the thickness of his ears due to the knife injury to the left.

Strike grimaça intérieurement, attrapa une cigarette, l’alluma et se recentra sur le présent, c’est-à-dire Manchester et les questions qu’il prévoyait de poser à Dawn Clancy, la femme qui durant cinq ans avait été Mrs. Jimmy Knight.

« Un certain Jasper Chizzle, dont le nom s’écrit “Chiswell”, souhaite vous proposer un travail. Il ne veut personne d’autre que vous. » Robin s’interrompit et plissa le front. « Ce nom me dit quelque chose.

— Normal. C’est le ministre de la Culture.

— Oh ! mon Dieu, s’écria Robin. Bien sûr ! Le grand type avec des cheveux bizarres !

— C’est lui. »