J'écris pour qu'on ne puisse pas ensevelir les morts sous le silence et les assassiner ainsi une nouvelle fois. J'écris pour qu'ils revivent un jour.
Le puzzle d'une vie ne peut jamais être totalement reconstitué. Le caractère d'un homme est un chaos, son destin, un labyrinthe, et vouloir les débrouiller, ça n'est jamais que créer un autre chaos, dessiner un autre labyrinthe.
Elle avait donc survécu, mais avec l'impression qu'elle - emploi ces mots dans son journal - "fendue par le mitan".
La partie de l'âme et du corps qui donnait de la saveur, de l'élan, de l’enthousiasme, de l'espérance à la vie, était une source asséché, stérile, peut-être définitivement morte.
Et l'autre côté d'elle-même n'était qu'une somme de geste nécessaire, vitaux mais médiocres, de petites tâches réglées, de devoirs qu'elle s'imposait.
Elle continuait de tenir son journal, de classer ses archives.
C'était devenu un rituel.
Elle se contentait non pas de vivre, mais de survivre.
On s'attarde sur l'héroïsme des bourreaux : n'ont-ils pas fait la révolution? triomphé du tsar, du capitalisme, des Armées blanches, etc.,et, plus tard, ne sont-ils pas entrés vainqueurs dans Berlin, terrassant le nazisme?
On innocente les uns - le talentueux Trotski, assassiné à l'instigation du sinistre Staline - , en somme on choisit son chef de bande et on le vénère.
Mais on oublie toujours les victimes des uns et des autres!
Celles du nazisme sont honorées, font l'objet d'un culte légitime, d'une mémoire sourcilleuse et vigilante, mais celles du communisme sont oubliées, parfois même encore suspectées!
Et que deviennent celles qui ont été persécutées par les deux camps?
Qui connaît aujourd'hui Julia Garelli-Knepper, livrée en février 1940 par les soldats du NKVD aux SS, passant ainsi du goulag soviétique au Lager nazi, de la Sibérie à Ravensbrück?
Puis, peu à peu, elle s'était persuadée que personne ne pouvait transmettre aux autres son expérience, que chacun devait parcourir son chemin vers la vérité, et que seul celui qui la connaissait devait avoir assez d'humilité pour admettre qu'il avait été lui aussi aveuglé par le mensonge, si bien qu'il ne devait pas condamner celui qui baignait encore dans l'illusion.
Que ce n'était pas tant la connaissance de la vérité ou l'obstination dans l'erreur qui importait que le goût du pouvoir et l'indifférence à la souffrance d'autrui.
Et le fanatisme prédisposait à la brutalité, et l'aveuglement tuait souvent la compassion.
J’ai mis près de vingt ans à composer et terminer ce livre écrit à partir de ses archives et de ses carnets. Le temps passe si vite ! J’ai essayé d’être fidèle à l’un des derniers vœux qu’elle avait exprimé : — Prenez la vérité pour horizon, David. Que rien ne vous arrête. Ne nous trahissez pas, nous qui sommes morts !
(...) c'est la même révolte qui les anime contre l'ordre repu, la vie mesquine, l'individualisme calculateur de la bourgeoisie, cette classe qui n'a ni les vertus héroïques des aristocrates, ni la générosité et le sens de la fraternité des hommes du peuple.
Il vous faudra laisser les vies enfouies renaître en vous. Vous les reconstruirez. Elles murmureront, comme celles et ceux qui allaient mourir me l'ont chuchoté : "Tu leur diras qui je fus, n'est-ce pas? Tu auras pour moi la clémence du juge..." Leur renaissance sera votre naissance.
Pleure donc, va, il y a bien de quoi pleurer...
Il faut rappeler que le noir existe à ceux qui ne croient qu’à la lumière.
À ceux qui tâtonnent dans l’obscurité et n’imaginent pas la clarté du jour, il faut dire que l’aube vient, s’ils la désirent.