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Citations sur La fabrique du consommateur (70)

Alors que les représentations de l’homme comme être de plaisir et de désir pullulent dans l’imaginaire médiatique naissant, elles se manifestent également dans l’intelligentsia. Bien des penseurs du début du XXe siècle, qu’ils soient économistes, psychanalystes ou biologistes, intègrent le désir comme une composante essentielle de leur anthropologie. Pour cette nouvelle génération d’intellectuels, l’envie et l’émulation relèvent d’instincts sociaux parfaitement fonctionnels et non pas de déviations pécheresses. Les économistes libéraux, héritiers de Mandeville, pensent les passions, l’insatisfaction et l’appétit de jouissance comme des stimulants économiques bien utiles à l’enrichissement général. Pour les évolutionnistes, l’animalité de l’homme explique sa nature pulsionnelle et invalide la doctrine du contentement. La société humaine ne suit pas un ordre providentiel et immuable, mais est traversée par le désir, la compétition et le mouvement, nécessaires à l’adaptation. L’insatisfaction et l’envie permettent à l’humanité de progresser en tant qu’espèce. La légitimation des pulsions humaines par l’argument de l’animalité ouvre la voie à la diffusion d’une vulgate freudienne, particulièrement vivace après guerre. Les médias diffusent et popularisent alors de multiples concepts freudiens : l’inconscient et le subconscient, le refoulement, l’instinct sexuel, la fixation, le complexe d’infériorité… La vulgate freudienne donne un vocabulaire, mais également une légitimité « scientifique » à la mentalité de consommation naissante. Les comportements, qu’ils soient moraux ou immoraux, scandaleux ou vertueux, ne seraient en réalité que l’expression de la nature pulsionnelle de l’homme. Sans que nous le sachions, l’instinct sexuel déterminerait nos comportements, y compris les plus anodins. Des mécanismes cachés expliqueraient notre égoïsme. Au-delà de l’ontologie, la vulgate freudienne entérine les notions de subjectivité et de personnalité – dont on a vu qu’elles étaient essentielles à la nouvelle mentalité –, en présentant chaque individu comme pourvu d’une intériorité, d’un soi profond (inner self), qu’il conviendrait d’explorer et de laisser s’exprimer. Refouler ce soi « réel », ce serait risquer de sombrer dans la maladie mentale. Le reconnaître, au contraire, permettrait de s’accomplir en tant qu’individu.
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Détaillons à ce propos le travail effectué par les magazines pour normaliser un nouvel objet qui apparaît dans les années 1890 : la bicyclette. Celle-ci suscite au départ bien des réticences lorsqu’elle est proposée aux femmes : selon les conservateurs, elle inciterait à la masturbation et compromettrait l’équilibre familial. La publicité seule ne suffit pas à endiguer la panique morale et à conférer une respectabilité à l’usage de la bicyclette chez les femmes. Tout au long des années 1890, les magazines entreprennent donc ce travail de normalisation, en multipliant les belles histoires dédiées à cet objet. Dans ces récits, la bicyclette, loin de menacer l’ordre social traditionnel, permet à des jeunes gens de bonne famille de se rencontrer lors d’escapades, pour finalement se marier et fonder une famille. Ces histoires sont complétées dans les pages des magazines par des publicités vantant les mérites de marques spécifiques. Les fictions publiées par les magazines à propos des bicyclettes permettent de remodeler les représentations sociales entourant l’objet, de désamorcer son caractère transgressif, de tisser dans l’imaginaire collectif toute une série d’associations positives et de permettre ainsi sa large diffusion. Le récit réalise un travail de familiarisation positive, qui s’achève à partir du moment où l’objet trouve sa légitimité. Ainsi, à partir des années 1900, les histoires de bicyclettes se font plus rares dans les magazines.
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La séquence générale est bien connue: invention de l'objet, engouement pour cette nouveauté, multiplication via des techniques de copie de moins en moins coûteuses, généralisation, et enfin abandon de l'objet désormais trop vulgaire pour l'élite. Cette mécanique, mille fois repérée, n'est cependant pas une loi sociale immuable.
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Le degré de maîtrise de la grammaire des styles était considéré comme l'un des grands indicateurs de la valeur de la maîtresse de maison, et donc de sa famille. D'où l'importance pour le bourgeois de prendre pour femme quelqu'un capable de signifier au mieux sa fortune, d'organiser au mieux son paraître.
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Le grand magasin est fait d’un ensemble de matières luxueuses – du marbre, des tapis, du bois précieux –, qui servent d’écrin à des marchandises magnifiées. L’abondance théâtralisée vise à immerger le chaland dans une ambiance aristocratique. Dans un tel décor, des marchandises dépourvues d’une véritable valeur d’usage et/ou d’échange sont dotées d’une grande valeur-signe. En les achetant, on achète l’idée du luxe, on emporte avec soi un peu du grand ensemble.
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Ainsi hameçonnés, les badauds devenaient chalands et passaient le seuil de la cathédrale, où ils découvraient ce que l’on avait mis en scène pour eux tel un amoncellement de trésors. Un patron de grand magasin de l’époque file cette métaphore religieuse : « Un magasin doit être organisé et mis en scène de telle sorte qu’en entrant, au premier regard, le consommateur ait l’impression d’être face à sa Mecque. »
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Le chaland pouvait pénétrer librement dans de véritables palais marchands pour admirer et palper longuement de multiples produits. "Vous pouvez contempler jusqu'à 1 million de dollars de marchandise, et personne ne viendra interrompre votre méditation."
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« Notre rapport social au travail d’autrui est déguisé sous la forme de rapport entre les choses. » La marchandise se trouve recouverte par un halo d’ignorance : le consommateur, aveugle à la production, est bien incapable de jauger les coûts, les constituants du produit, la somme des efforts et des souffrances qu’a nécessitée sa fabrication. L’homme moderne ne peut plus appréhender le produit que sur un mode halluciné : l’objet semble exister par lui-même, indépendant de tout le maillage social qui lui a donné naissance. Il se donne à voir sur les linéaires des magasins tel un pur plaisir et une pure matière contemplative. Il participe magiquement à la fantasmagorie, au rêve éveillé du consommateur-contemplateur. 
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C'est tout le sens du cool qui émerge alors : le terme désigne une façon de se mouvoir et d'être, une manière de feindre l'indifférence. Le cool est un détachement hautain et ironique, héritier du dandysme, une savante mise en scène de soi, à la fois intense et détachée, qui permet d'incarner la rébellion.
P216
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Les marginaux, les bandits, les artistes... Tous ces personnages peuvent être considérés comme des déclinaisons de la figure matricielle du dandy, l'incarnation du principe de distinction par l'exhibition d'objets signes et d'attitudes scandaleuses.
P216
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