Avec ce roman paru en 1969 pour la version française, soit sept ans après la naissance de son fils Diego, un an avant son divorce de
Jean Seberg et cinq ans avant la parution du premier "Ajar", je poursuis ma découverte de la partie méconnue de la bibliographie de
Romain Gary, après la lecture cette année de
Lady L. et de
la danse de Gengis Cohn. Sur le plan de la narration, on peut dire que "
Adieu Gary Cooper" se situe à mi-chemin entre ces deux romans, avec un certain romanesque empruntant aux codes du polar d'un côté et une loufoquerie dans le ton de l'ouvrage, les dialogues et les situations qui le rapproche du "Gengis Cohn" de l'autre.
Le roman se situe en Suisse où un jeune américain, Lenny, s'est réfugié pour ne pas être enrôlé dans la guerre du Vietnam. Il y côtoie d'autres "vagabonds des neiges" comme les appelle Gary (en anglais "sky bum", qui est le titre de la version américaine du roman, parue en 1965, que Gary a beaucoup remaniée pour sa parution en France), jeunes gens en rupture de ban avec la société occidentale qui répugnent à descendre en dessous de 2000 mètres d'altitude car l'air y est "irrespirable".
Pourtant c'est lors d'un passage à Genève que Lenny va faire la connaissance de Jess, la fille d'un diplomate américain qui n'est pas très à l'aise avec le rôle qu'il est sensé tenir auprès de ses alter egos. Jess et Lenny vont alors être mêlés à une histoire plutôt louche...
La trame du roman n'est qu'un prétexte dont se sert Gary pour nous parler de l'état du monde, encore largement dominé par les Etats-Unis à cette époque mais alors en proie à une tenace résistance de mouvements d'indépendance, le plus souvent d'obédience communiste (Chine, Vietnam, Cuba, Algérie...) et au développement d'une vigoureuse contestation dans la jeunesse occidentale (USA, Allemagne, France...). Gary nous laisse deviner sa sympathie pour les jeunes contestataires mais c'est aussi sans aucune illusion pour les causes qu'ils défendent. Il se range par principe dans le camp des faibles, des vaincus et n'exprime aucune sorte de complaisance envers les détenteurs du pouvoir et de la force armée, qu'elle que soit la couleur de leur drapeau.
C'est bien-sûr avec le langage que Gary entend résister, pour sa part, aux nouvelles terreurs qui menacent le monde. Un langage dont il joue en tordant les expressions, en télescopant les sens des mots avec la réalité dans un chemin qui le mènera jusqu'à l'invention d'Emile Ajar. Pour qui connaît les romans d'Ajar, il semble évident – a posteriori – de voir dans "
Adieu Gary Cooper" un jeune frère de "
Gros Câlin" et de "
La vie devant soi". Un jeune frère peut-être encore un peu maladroit par moment, mais déjà d'un inventivité fabuleuse.