Dans ce roman, nous suivons Lenny, américain qui, pour échapper à la guerre du Vietnam, devient ski bum en Suisse, un vaurien traînant dans et autour des stations de ski.
En fait sa conscience semble avoir été effrayée par le slogan « ne vous demandez pas ce que l'Amérique fait pour vous, mais demandez-vous ce que vous faite pour elle ».
Ce roman est en partie intimiste car nous nous voyons souvent l'action à travers les yeux de Lenny.
C'est aussi un roman d'aventure, avec une partie de l'action qui concerne le trafic d'or et de devises entre la France et la Suisse.
Lenny est un personnage complexe. Il refuse de faire partie de la société, il est très désabusé, parfois cynique. Il revendique son aliénation, sans dire au profit de qui. Il passe même un peu pour un demeuré (« Il paraît même que c'est inscrit dans la Déclaration d'Indépendance, l'aliénation, mais jusqu'à présent, il y a que les Noirs qui en ont bénéficié. Je savais même pas que ça existait. le mot, je veux dire. », il veut aller en « euthanasie »). Il a des réflexions assez brut de décoffrage (« Toujours cette pute de psychologie, on n'a pas idée de ce que ça peut faire à un type, la psychologie. Ça pardonne pas. »).
Cependant, il a une personnalité un peu double : ce qui se passe en-dessous d'une certaine altitude ne compte pas, il s'adapte donc au monde et à la société qui l'entoure dans ce cas ; mais au-dessus de cette altitude, il est alors atteint par la pureté de la neige.
Il peut en effet faire preuve d'une grande candeur et d'une grande tendresse, avec les femmes notamment. Il y a une sorte d'animalité dans ce personnage, qui a besoin de contact physique, et qui aimerait réussir à ne pas trop réfléchir.
Il y échoue en partie car il a de superbes réflexions (« Sûr. Les plus beaux gâteaux, Bug, ce sont ceux qui n'existent pas. Dieu. le communisme. La fraternité. L'Homme, avec un H grand comme ça. »)
Jessie, elle, est bien plus intelligente et très complexe aussi. C'est une étudiante, la fille d'un diplomate, alcoolique, avec qui elle a une relation certes platonique mais tout de même un peu incestueuse. Elle est entourée d'autres étudiants, prétextes à des réflexions politiques sur le monde, sur les sociétés, avec par exemple une superbe déclamation de Chuck, étudiant noir, sur la condition des Noirs (que je verrais très bien dite par Samuel L. Jackson, comme il s'exprime dans Pulp Fiction) :
« […] Et ne venez pas parler aux Noirs américains de communisme, parce que nous ne voulons pas être intégrés. Ni dans le prolétariat, ni dans rien. Et autre chose. Nous n'avons aucune intention de renverser le capitalisme américain, bien au contraire. Nous voulons nous faire rembourser. […]
Il faut absolument lire ce passage en entier.
Ce livre est donc bien sûr rempli de réflexions sur de grands sujet : la connerie, « la barrière du langage » quand les gens ne se comprennent plus alors qu'ils parlent la même langue, la psychologie qui je crois est ici « la conscience d'être » et la mauvaise conscience entre autres, la démographie ( « la procréation indiscriminée »), la beauté des idées avec le gâteau qui n'existe pas dans la boîte, l'individualisme, l'aliénation, la condition des Noirs américains, l'importance des minorités…
Toutes ces réflexions ne sont pas du tout assommantes, car elles sont disséminées au gré des personnages ou des pensées de ceux-ci, à travers le narrateur.
Ce narrateur est très intéressant. Il est proche des personnages. Son ton varie suivant les passages où l'on s'intéresse à Lenny ou à Jess. Il permet donc très bien de se mettre dans la peau des personnages et de passer de l'un à l'autre.
A noter une apparition du Baron, toujours dans son état de stupeur alcoolique et dans toute sa « splendeur ».
J'ai adoré ce livre, j'aurais voulu qu'il dure plus longtemps.
J'ai essayé de ne pas me livrer à la citationnite aigue que m'inspire toujours
Romain Gary (c'est formidable de savoir dire tant de choses, et de grandes choses, en si peu de mots ou de phrases), mais je vais quand même ajouter encore cet extrait dit par Lenny :
« - Je connais un type à Zermatt, qui dit : « C'est pas au point, tout ça. Il faut changer le monde. Il faut qu'on se mette tous ensemble et qu'on change le monde. » Mais si on pouvait se mettre tous ensemble, le monde, on aurait plus besoin de le changer. Il serait déjà complètement différent. Seul, tu peux faire quelque chose. Tu peux changer ton monde à toi, tu peux pas changer celui des autres. »
Toujours trop de lucidité chez
Romain Gary.