Romain Gary est un personnage de roman à lui seul. Il a vécu mille vies et a traversé le pire et le meilleur. C'est un homme à la trajectoire exemplaire.
Romain Gary est également un romancier hors-norme, digne des plus grands de la littérature française. Son écriture est d'une puissance qui me fait penser à celle de
Victor Hugo. Et je reprendrai à son compte ce que Hugo disait, en parlant de l'écriture : « Le Mot, c'est le Verbe et le Verbe c'est Dieu ! »
Chez cet écrivain, il n'y a pas de mots intempestifs, ni de phrases inutiles. Il y a une écriture exigeante et superbe. La construction de ce roman est également ingénieuse. Elle demande beaucoup d'attention de la part du lecteur. En effet, nous ne sommes pas dans une construction linéaire où l'histoire se déroulerait au fur et à mesure des pages que l'on tourne. La construction est beaucoup plus alambiquée et peut nous échapper si l'on manque d'attention. Plusieurs personnages s'expriment et utilisent le « je », les allers-retours spatio-temporels sont nombreux et il est recommandé de prendre ses repères au risque de décrocher.
Tout tourne autour de « l'affaire Morel » . Un homme qui s'est engagé pour alerter l'opinion internationale au sujet du massacre inutile des éléphants. Un engagement qui l'entraîne à punir celles et ceux qui pratiquent la chasse à l'éléphant soit comme une distraction soit pour un but lucratif (l'ivoire).
Toute l'intelligence de
Romain Gary est de nous replacer cette histoire dans son contexte. Nous sommes en Afrique noire (anciennement l'AEF, Afrique Equatoriale Française), dans les années 50. L'Afrique est soumise à des tensions vives où cohabitent une colonisation qui s'essouffle, un islam qui fédère et un communisme qui voit dans l'Afrique le terreau pour son expansion internationale. L'Afrique est une bombe à retardement et les journalistes aiment à y braquer leurs objectifs afin d'en analyser les soubresauts.
Dans ce domaine là, tout comme dans le domaine scientifique,
Romain Gary est à la pointe des connaissances. Il sait, mais il sent également, tous les bouleversements qui vont se produire dans nombre de pays africains colonisés.
Morel symbolise le combat pur et sans sous-entendus. Pour lui, l'éléphant est son seul souci. Il sait qu'il y a un énorme travail à faire car, pour le peuple africain, l'éléphant est avant tout de la viande à se mettre sous la dent. Dans un continent où on crève de faim, sacraliser l'éléphant est le cadet des soucis de l'homme africain. Autour de Morel va s'agréger une troupe hétéroclite dont les idéaux divergent singulièrement. Entre les partisans « écologiques » et les partisans « politiques », la division guette car beaucoup le soutiennent afin de porter un coup fatal au colonialisme.
Un livre précieux qui nécessite du temps de cerveau disponible. Je vous conseille de prendre le temps de noter qui est qui car il y a de nombreux intervenants dans cette histoire et il est facile d'y perdre son latin.