Je veux que nous portions encore la marque du Négus : l'infirmité lumineuse de ceux qui ont dans le crâne des rêves trop grands et, dans le regard, la beauté des hommes insatiables.
C'est cela qu'il aurait fallu à Zio Négus : une sépulture de Romain, un tumulus et le silence du monde alentour. Combien d'entre nous auront cette chance-là ? Nous nous entassons dans la mort avec la même tristesse que dans la vie, serrés les uns contre les autres, laids d'être tous identiques. Comme si, même là, nous avions peur d'être seuls.
L'histoire est écrite par les vainqueurs.
Alea jacta est.
Tout être humain a peur de la mort car il sait que cela va arriver.
Tout s'achève, mon frère. Il ne reste rien ici, de toi, de moi, rien qu'un goût lointain de lutte, et le souvenir de nos vies saccagées.
Longtemps la terre se demanda quelle offense elle avait faite aux hommes pour qu’ils la condamnent ainsi à cette pluie de grenades. Elle essayé de comprendre. Elle chercha comment se protéger. Enfouir sa tête entre ses mains, se recroqueviller,offrir le moins de prise possible aux coups, se durcir pour les empêcher de la pénétrer comme ils le faisaient, devenir plus dure que les bombes pour que les projectiles rebondissent sur sa peau et explosent aux visages étonnés des hommes : elle aurait aimé, mais elle ne pouvait pas.
Alors, elle continua d’encaisser les coups. La haine grandissait en elle. Elle était de plus en plus laide, de plus en plus usée. Elle pensait maintenant que plus rien, jamais, ne pourrait pousser en elle. Trop d’éclats d’obus et de débris d’acier étaient sous sa peau. Elle pensait que bientôt sortirait de son sein fatigué des arbres de métal, violents et rouillés. Elle n'espérait plus. Et puis l’hiver arriva et il se mit à pleuvoir sans discontinuer.
Ce fut d’abord un peu de réconfort, comme si le ciel lavait ses plaies. Les coups, bien sûr, continuaient mais elle les sentait moins. Elle devenait plus molle, plus facile à écarteler. Elle s’en inquiéta même, se demandant si les hommes n’allaient pas profiter de cette facilité pour la retourner complètement.
Qu'est-ce donc qu'un homme si ce n'est une accumulation d'histoires vécues, rapportées, imaginées, qui mises bout à bout, finissent par faire une vie ?
"Dès les premiers jours je l'ai senti", avait dit Zio Négus, parce que pour lui il ne faisait aucun doute qu'il restait dans les vieilles pierres de l'abbaye quelque chose de la venue du roi des Deux-Siciles. L'herbe, ici, avait le souvenir d'avoir été foulée par les chevaux caparaçonnés de son armée, et il flottait encore dans l'air, malgré le temps passé, quelque chose de l'épuisement de ces soldats qui avaient plongé dans les entrailles de la terre et étaient montés à la surface avec, sur le visage, une fatigue de siècle.
J'éais fou parce que j'étais trop nombreux.
Zio Negus portait en lui le rêve d'une vie habitée par le chant du monde où l'homme se heurte encore au mystère du temps et à la présence rugueuse des éléments.
Zio Negus portait en lui le rêve d’une vie habitée par le chant du monde où l’homme se heurte encore au mystère du temps et à la présence rugueuse des éléments.