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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Magistral, un cerf-volant en plein ciel, « Black Manoo » est l'un des plus beaux livres au monde. Ce récit est une boussole, un parchemin, une nécessité. La vie est ici. Tremblante, colorée, vive, attentionnée. L'écriture est une invitation, une danse endiablée, envoûtante. Olympienne, vivifiante, humble, magnanime, elle vaut tous les outils du monde pour oeuvrer en humanité. « Pas besoin d ‘aller sur la mer de la Tranquillité pour prononcer une pareille phrase. » « Roissy est sur la lune, et Air France une compagnie spatiale pour tout Africain. » La trame est magie. Formidable, les courants s'attirent et gonflent les pages de tendresse, s'abreuvent des regards loyaux. Black Manoo est un junkie abidjanais qui arrive en France. Direction Belleville, par porte de Bagnolet ou par porte de la Chapelle ? le récit rayonne, échappe ses crayons de couleur. Nous sommes dans cette symbiose cosmopolite, urbaine, sociologique, universelle. Dans cet habitus comble de combines, d'entraides, et de sincérité. Ce récit bouillonne de l'intérieur. « Black Manoo marche dans ses rêves. Les rues désertes de l'aube exacerbent l'onirique. Chaque pas, il les plante dans le pavé pour en entendre l'écho. » Vous entendez n'est-ce-pas, cette assurance, ce diapason en osmose avec la contemporanéité, chaque minute est rassasiée de désirs, de rires, de surprises, et d'espérance. Citadin, il râcle au cutter le profond des écorces. Black Manoo enchante ce récit. Il incite à l'ouverture, à l'admirable hospitalité qui est la pierre angulaire de la fraternité. Black Manoo est aussi un cri qui déchire la nuit en mille morceaux par une révolte sourde. Un homme debout qui résiste aux courants d'air, qui cherche sa voie dans le somptueux de ses amis de coeur, des hôtes des villes, des squats et des galères, qui assemble les différences même les invisibles. « Pour un sans-papiers, le défaut de titre de transport est le pire crime. » « Et survivre, c'est au-dessus de la vie. » Voyez comme la plume de Gauz respire et attire à elle le lecteur qui voudrait apprendre par coeur ce grand récit. Il y a au profond de ce récit d'ébène et de gloire, l'énergie pour résister. Les armes pour affronter ses propres démons. Les cartographies des coeurs et des espaces. Les bruits des pas, les silences, ce qui reste dans le rare d'un crépuscule qui se renouvelle en soi. Ce récit mappemonde, arc-en-ciel, musique, est salvateur. Plus que ce bout du monde insaisissable il est la puissance de l'instant et le plus bel escompte hyperbolique du futur. Les rencontres sont des chapelles, de celles qui accueillent. Il y a les langages sources. Les couleurs et les formidables courages, le berceau de l'humanité. Apprenez par coeur la page 141, « Gus Morgan » Les réponses sont ici. Posées pierres après pierres. Respectueuses, « Dans les branches d'un arbre au milieu d'un jardin de fleurs traversé par un ruisseau d'encre noire : Gus Morgan. » Et, plus encore vous comprendrez que « Black Manoo » est une accolade N° 58. Merci Monsieur Gauz pour vos mots. Black Manoo est mon ami pour toujours. « Black Manoo » est sur la place des Grands. Publié par les majeures Editions le Nouvel Attila.
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J'ai un très bon souvenir de la langue singulière de Gauz dans son premier livre, debout-payé. L'histoire d'un sans papiers qui atterrit en France et qui devient vigile. J'ai été happé à nouveau dès les premières pages de Black Manoo, cette nouvelle lecture qui conte la vie d'un junkie abidjanais sans papiers qui arrive à Paris dans les années 90 et qui tente de s'en sortir. On découvre au fil des rencontres que va faire Black Manoo des personnages magnifiques, des marginaux. J'ai retrouvé cette façon bien particulière, propre à Gauz je trouve, d'observer avec justesse les comportements et les habitudes de ces personnages. L'ensemble est servi par une langue puissante, musicale, comme dans debout-payé. Une langue qui interpelle le lecteur avec des traits d'humour, des tournures qui sonnent et des dialogues très bien sentis. Une très belle lecture pleine d'humanité que je vous recommande.
Lien : https://lesmafieuses.wordpre..
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Toujours aussi fan de Gauz après le 3ème livre. Vivement que les librairies puissent à nouveau recevoir les auteurs, pour pouvoir débattre à nouveau avec lui.
Toujours aussi fan de Gauz après le 3ème livre. Vivement que les librairies puissent à nouveau recevoir les auteurs, pour pouvoir débattre à nouveau avec lui.
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Black Manoo débarque de son Abidjan natal à Paris. Ses papiers sont « provisoirement en règle » : A peine a-t-il foulé le sol de Roissy, son passeport repart direct pour faciliter le passage d'un autre. le junky se trouve sans le sou, ni justificatif de sa présence en France, dans le quartier de Belleville mais croise la main salvatrice de son ancien dealer, le premier personnage qu'il rencontre d'une population haut en couleur qui peuple ce quartier. A travers les yeux de Black Manoo, on vibre au rythme des tracas, des travers, des victoires et des joies de ses habitants. Leurs noms chantent dans nos oreilles: Solo-des-grands-B, Seksy, Lass Kader… On suit leurs péripéties d'un squat d'autonomes cohabitant avec des familles africaines, en passant par le "Moukou" havre des soirées afroparisiennes situé sous l'ombre protecteur du siège imposant du PCF, à une guinguette clandestine où on danse le zouglou… En arrière fond la Côte d'Ivoire avec les flashbacks du passé de Black Manoo. Ce livre est une ode à la vie, aux liens qui se tissent les uns les autres qui lui donnent du sens.
Ce polaroïd bellevillois est mis en valeur par l'écriture innovante de Gauz. Il joue avec les mots, un pur styliste comme Céline ou Romain Gary en leur temps. J'ai ri tout le long de la lecture et ai trouvé ma révélation 2020 ! Un petit plus pour la photo de couverture de l'artiste Aïda Muluneh.
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Enfin je découvre la plume de Gauz. Et quelle plume !
Première impression : "ah de la littérature comme je l'aime".
Son écriture est consistante. Chaque mot, phrase, paragraphe amène le lecteur vers une réflexion profonde sur la vie, nos sociétés, et leurs lots inépuisables de misères sociales.
Lu un dimanche, j'ai voyagé entre plusieurs émotions, époques et milieux.
Et ça faisait longtemps qu'un livre ne m'avait pas fait rire, la plume de Gauz m'a fait visualiser certaines scènes comme si j'étais au théâtre...
Ce qui n'est pas de refus en ces temps confinés et/ou en couvre feu.
J'entendais l'auteur dire pendant une émission de radio qu'il a voulu inventer une autre littérature avec le format qu'il nous propose là : des chapitres de 2 pages, decrivrant des scènes, des moments que le lecteur saisit immédiatement. Tout n'a pas besoin d'être dit, l'auteur peut se reposer sur la capacité imaginative de son lectorat.

J'ai aimé la lecture de ce roman et je le recommande.
J'aime la liberté avec laquelle ces auteurs, Gauz, Romain Gary, Kourouma, Leonora Miano manient la langue française. Une belle injonction de les imiter, lancée avec sourire aux lèvres.
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Je remercie Babelio, Masse Critique et les Editions Points pour l'envoi de ce roman.

Découverte fort agréable de cet auteur dont j'avais beaucoup entendu parler, notamment pour « debout-payé ».

Transportons-nous à Belleville dans les années 90. C'est là que débarque l'Ivorien Black Manoo qui voyage avec un faux passeport. Sésame qui lui sera repris à son arrivée à l'aéroport par son passeur afin qu'il puisse servir à d'autres !

Black Manoo ne connaît personne en France mais il va vite être intégré dans un squat où vivent au rez-de-chaussée les clochards, au premier des familles venues de différents pays africains et au dernier étage des blancs.

Il va découvrir comment fonctionne ce petit monde de la débrouille et toutes les combines :

« Dans ce pays, sauf exception, l'Africaine accède aux papiers puis au logement social par le statut de mère, puis de mère isolée. On ne la reconnaît qu'en tant que matrice à fabriquer de l'enfant français. Alors, toutes les « sistas » font dans l'immaculée conception. Leurs grossesses n'ont jamais de père (…) Les pères eux doivent faire le contraire : père aimant. Pas de séjour si tu ne peux pas prouver que tu t'occupes de tes enfants. »

Black Manoo découvre la vie d'un sans-papiers et les pièges à éviter pour ne pas se faire contrôler.

Dans le bar-restaurant clandestin qu'il ouvre au fond d'une boutique, il constate les comportements des différentes communautés qui le fréquentent : » Un blanc dans ton bar, il entre avec toute la France. Il est seul avec vous, mais il est la majorité écrasante. Avant même qu'il le sache, vous lui avez donné le pouvoir. Vous vous rangez inconsciemment du côté des perdants de l'histoire. le racisme, c'est ça aussi, le triomphe des mythes du groupe dominant. »

Gauz décrit de façon très réaliste les moyens de survie de tous ces gens qui ont dû quitter leur pays pour raisons économiques ou politiques comme Black Manoo. Il n'y a ni caricature ni misérabilisme dans son texte, bien au contraire : beaucoup d'humanité et d'humour.
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Reconnaître Paris à travers les yeux de Black Manoo, c'est comme chercher l'original dans un tableau de Picasso ou imaginer la carte postale dans un tableau de Derain. Tout y est différent de la ville que l'on connaît. Les gens sont différents, les lieux nous sont inconnus, les couleurs, les mots, les sons sont animés d'une vie que même la précarité et la pauvreté ne parviennent pas à assombrir.
Ivoirien, enrôlé de force pour se battre en Lybie, Black Manoo, de retour à Abidjan, il fait un séjour en prison puis sombre dans l'héroïne. Accumulant les dettes et menacé, il se voit contraint de quitter son pays et débarque en France dans les années 90, avec de faux papiers et plein d'espoir.
De squatts en logements précaires, il finit par louer un local à Belleville avec son amie Karol, pour en faire une épicerie de produits africains l'Ivoir Exotic, qui cache un bar clandestin dans son arrière salle, derrière la porte qui lui donne son nom, le Sans Issue.
Dans un mélange multiculturel, la communauté des sans-papiers s'organise autour de ces lieux de rencontre, vivant de petits boulots au noir et mélangeant leurs coutumes ethniques aux moeurs parisiennes.
Cultivé et imprégné de l'histoire de France, Black Manoo se voit comme un Jean Marais dans le Gentleman de Cocody, son film culte, et il en faudra beaucoup pour lui faire perdre son humour et son optimisme.
Ce roman est un coup de poing pour moi, parisienne persuadée de savoir tout de cette ville. J'y ai découvert un autre monde qui est parvenu à se faire une place, là, devant mes yeux tellement fermés qu'ils n'en ont jamais rien vu.
Gauz nous offre un étonnant voyage à l'autre bout du monde sans quitter la capitale et ses personnages, hauts en couleur et débordants d'inventivité, sont un incroyable exemple d'adaptation à une société qui les rejette. On ne sort pas indemne de ce court roman.
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Un périple émaillé de rencontres miraculeuses. Sous le récit tapissé de punchlines hilarantes perce une attention aiguë aux réalités sociales complexes d'un quartier. Irrésistible. tant par l'écriture, la truculence des personnages que par le soin apporté aux détails. La verve électrique et fleurie de l'auteur restitue ce coin cosmopolite de Paris dans toute sa dimension sensorielle. Ah, Belleville !
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D'Abidjan à Belleville, captures d'instants d'un invisible …

En Afrique francophone, c'est une vérité de la Palice, la Côte d'Ivoire est une terre de vibrations musicales, comme le sont à n'en point douter la plupart des pays de cette région d'Afrique. La Côte d'Ivoire a ceci de particulier qu'elle a su au fil du temps s'imposer comme un laboratoire de sonorités qui ont si bien su s'exporter depuis plusieurs décennies.

Des noms comme Pierre Amédée, Ernesto Djédjé pour les plus anciens et Bailly Spinto pour de fringants quinquagénaires ou sexagénaires sont évocateurs d'une époque qui vit éclore des chansons d'une pureté rare dans un contexte de relative aisance économique d'un pays attractif pour toute la sous-région de l'Afrique de l'Ouest. La prépondérance de la musique dans le narratif de ce pays n'ira pas s'amenuisant au fil du temps, et ce même au plus fort des périodes troubles de crise économique et d'instabilité politique.

A contrario, les ivoiriens ont toujours retrouvé dans la musique une sorte d'exutoire, de défouloir ou une forme de réceptacle de toutes leurs revendications : dans les années 90 le refrain Agnangnan scandé par le groupe de musique urbaine R.A.S., le Zouglou de paroliers comme Didier Bilé, à la fin de la décennie 90 ou au début des années 2000 avec le pied-de-nez que firent à la bien-pensance musicale les contorsions lascives des rythmes originellement traditionnelles connues dans leur évolution sous le vocable de Mapouka qui mirent en transe les jeunesses africaines à cette époque. Puis vint le célèbre mouvement coupé décalé qui faisait le panégyrique du dandy abidjanais et de la petite débrouille fort ostentatoire. La musique a toujours fait écho à l'histoire très mouvementée du pays.

Au milieu des années 80, un chanteur , Gun Morgan, défraie la chronique par son jeu de scène, l'introduction des sons Funky dans ses chansons et la mise en scène de sa famille, sa femme, son fils et sa fille, qui tourneront le clip de sa chanson phare « Kôkôti Kouadio » parés aux effigies des couleurs nationales Orange, Blanc, vert.

Le héros du roman de Gauz, Black Manoo, de son vrai nom, Emmanuel Pan, puisque l'auteur s'inspire de la vie d'un personnage réel, est un nostalgisant perpétuel qui d'ailleurs fera commerce de la nostalgie dans un des chapitres du texte. Il décide de partir pour retrouver son idole, Gun Morgan, en France, à Belleville. C'est un peu comme un camerounais qui, rongé par la nostalgie de la flamboyance des titres comme things like this de Gilly Ndoumbe ou Eyaye du groupe Esa, interprété par l'inimitable voix de Stéphane Dayas, déciderait de partir, de faire un saut dans le temps pour revivre le chatoiement sublime des mélodies d'antan.

L'histoire du roman commence un peu après la Coupe du Monde de 1998 en France au moment où Black Manoo débarquera en France. Enfin, après sept tentatives soldées par de cuisants échecs, sous une fausse identité, « François-Joseph Clozel, entrepreneur en visite au Salon du BTP, Porte de Versailles » muni d'un visa un court séjour qui sera vite réexpédié au pays pour un recyclage. « Comme convenu avec le canonnier, Black Manoo rend le passeport. le faux document s'en retournera à Abidjan habiller quelqu'un d'autre en rouge, autant de fois que nécessaire pendant ses trois mois de validité. » Il faut dire qu'ici l'économie circulatoire des visas d'entrées sur le territoire européen connaît son heure de gloire.

A son arrivée à l'aeroport Charles de Gaulles, « l'aéroport du grand blanc de Brazzaville », Black Manoo embarque dans un taxi conduit par un Haïtien, direction Belleville, le quartier Parisien qui a été le terreau de belles intrigues de Céline ou Romain Gary (détail qui a son importance). Il déchantera très vite et devra se faire une raison. Pas de trace de son idole.

Bonjour, tu connais Gun Morgan, roi de l'afro-funk, soul man de France … s'il te plaît ?
Il appuie sa demande d'un hochement de tête synchronisé sur un glissement de jambes en fredonnant « Ayééé, kokoti kouadjo, blonin ! », le refrain du premier tube de Gun Morgan. Ce 15 août caniculaire, Black Manoo danse et chante, avec sa valise à roulettes en pied de micro, devant tout ce qui a une paire d'yeux et d'oreilles. Rien sur Gun Morgan. La fatigue et la chaleur finissent par s'inviter au découragement la « bête » se reveille à ce moment-là.

Le contraste est saisissant. Black Manoo avait auparavant séjourné en Russie, espérant y obtenir une bourse, l'expérience russe s'avèrera désastreuse. de retour au pays, c'est dans la drogue qu'il retrouvera une forme de « salut ».

A Belleville, il est accueilli par un ancien junkie, redoutable dealers des fumoirs d'Abidjan, « Lass Kader, dit Lass-six-six, spécialiste du couteau à six vitesses pour le recouvrement de dettes. » reconverti en assistant social qui vient maintenant en aide aux personnes dépendantes pour leur permettre de décrocher. C'est lui qui l'hébergera au Squat du Danger, rue David d'Angers. Dans le squat le Danger, Black Manoo y promènera le lecteur avec une envoutante subtilité, lui faisant sentir les odeurs, lui permettant d'entrer en osmose avec une atmosphère chaleureuse amicale découvrant au passage de personnages fort attachants. On fera la connaissance des « dangereux noirs » :

Babou est installé dans le plus grand appartement du palier noir avec Sana et ses trois enfants. le jour où il s'est présenté à Black Manoo, il s'est lui-même défini comme un spécialiste de la réconciliation post-partum … Chaque fois qu'ils se sont séparés à cris et à corps, Sana était enceinte … de quelqu'un d'autre. Mais Babou se remettait avec elle dès l'accouchement.

Mais il y' a aussi dans le squat Danger, les dangereux blancs, « Dominique est sur le palier blanc dans un appartement aussi grand que celui de Babou. Il vit seul », un gauchiste obsédé par l'écriture d'articles.

Au Danger, Dominique méprise ses voisins du bas qui ne participent jamais aux manifs, « ces immigrés noirs qui vont finir fachos comme les immigrés du sud, les bâtards !

Le temps de sa désintoxication, c'est au foyer SONACOTRA qu'il prendra régulièrement ses repas, le célèbre Mafé, qui lui aussi a une histoire :

Estampillé plat africain par excellence, le mafé a une histoire française. A la fin de la guerre, un Strasbourgeois s'imagine faire fortune avec la pâte d'arachides. Il se fournit au Sénégal et la baptise Dakatine en contractant Dakar et tartine. Il la rêvait reine des goûters d'enfants sévèrement marqués par la malnutrition des années de guerre et les tickets de rationnement. Un fiasco ! les têtes blondes la dédaignent. Une femme oubliée de l'histoire la prépare en sauce et le mafé est né. Les palais noirs apprécient. Il devient plat national d'au moins trois pays d'Afrique où l'on croit que Dakatine est un mot Wolof.

Il rencontrera l'amour, ou du moins ce qui en fait office auprès de Karoll, mère célibataire de 5 enfants, dont les deux premiers qui lui donneront sa première carte de séjour sont issus d'une relation avec un dealer zaïrois, « l'homme purge sa peine quand elle obtient sa première carte de séjour, renouvelable chaque année. Trois gosses et une deuxième carte plus tard on lui trouve un logement décent dans une cité rue des Couronnes. Il lui faut sept ans et cinq accouchements pour obtenir un titre de dix ans, soit 730 jours par enfant né français. ». Avec le pactole d'une prime d'assurance, Karoll décide d'investir dans un restaurant africain : « En France, les cuisines du continent se résument à ce groupe nominal. le Cameroun est à 4000 kilomètres du Sénégal sur les cartes géographiques, mais le Ndolè de Douala et le Tchèp de Dakar sont voisins sur les cartes de menus ». Finalement Black Manoo persuadera Karoll de se lancer dans le commerce des produits exotiques, magasin à l'avant elle vend les bananes, les piments et les tilapias, et lui derrière, au fond, il fera « danser les gens sur le zouglou du pays : une guinguette ». C'est la naissance d' Ivoir exotic devant, avec une porte qui donne au fond sur le « Sans issue »

La parenthèse ivoir exotic est également le prétexte pour faire connaissance avec de nombreux autres personnages parmi lesquels, Bernard Bressac alias Solo-des-grands-B, « le vieux blanc », le dernier des bougnats comme autrefois étaient appelés les Auvergnats qui posaient leurs valises à Paris. Il leur loue Ivoir exotic 321 € par mois, charges comprises. Une réelle complicité naîtra entre les deux. Pendant la grande canicule de 2003, Black Manoo lui montera des bouteilles d'eau, ce qui lui rappellera ses ancêtres qui faisaient exactement la même tâche dans tout paris et vivaient en communauté :

Mes grands-parents comprenaient à peine le français. Ils n'étaient même pas fichus de prononcer « charbonnier » correctement. Ils disaient « charbougnat » ! c'est pour ça qu'on nous surnomme les « bougnats » ! On était des immigrés comme vous, mais en pire. On ne venait pas de loin, mais on était plus étrangers que vous, on avait beaucoup moins d'instruction que n'importe lequel d'entre vous.

Avec Solo-des-grands-B, il revisite l'évolution de leur quartier qui a vu arriver les « Tlenteulos », les prostituées chinoises qui ont en commun la posture droite et impassible. Leurs surnoms, elles le doivent au prix de la passe, 30€. L'ambiance qui règne à Ivoir Exotic où « on ne vend ni à manger ni à boire », mais de la nostalgie, est la plus illustrative de l'univers du Squat le Danger : on y croise « Mamadou le dormeur » qui tous les matins fait l'ouverture et prend une Heineken en guise de café, « Désirée la banqueteuse » qui n'a rien à voir avec la banque mais qui est toujours assise sur la banquette, Moussa « le brouteur perpétue une escroquerie héritée des Zaïrois », Achillone la camère, « une camerounaise à carrure de boxeur et voix de stentor » …

Tout le long du récit, Black Manoo plantera le décor dans chaque chapitre avec un personnage dont le profil révèle un des pans qui participe de la diversité de ce lieu. de chapitres, il y'en a, en tout cinquante-deux. Chaque chapitre tenant sur deux pages et pouvant être lu séparément même si les chapitre se tiennent tous par le fil rouge que représente Black Manoo. le texte nous dévoile toute l'importance que Gauz attache à la structure, au rythme et au style dans la construction de son récit. Pas étonnant chez un auteur qui prit la décision de devenir écrivain après avoir lu la même semaine le Soleil des Indépendances d'Ahmadou Kourouma et Voyage au bout de la nuit de Céline. Les phrases sont courtes, la formule est corrosive, percutante et en même temps pertinemment dicible. Comme dans ses précédents romans, debout-payé et Camarade Papa Gauz fait encore montre d'une créativité linguistique bouleversante. La langue de Gauz est une sorte d'intralingua intercédant entre le registre courant et les codes linguistiques urbains pratiqués dans les rues abidjanaises, Doualaises ou parisiennes. C'est une langue pleine d'ironies qui aborde des sujets autrement plus graves avec sarcasme. C'est une langue colorée dotée d'une puissance olfactive qui nous rappelle la truculence, l'exubérance et la verbosité forte imagée de Verre cassée missionné par l'Escargot entêté propriétaire du bar le crédit a voyagé dans Verre cassé d'Alain Mabanckou de rédiger les chroniques sur les faits et gestes de sa clientèle.

le texte de Gauz est une ode à l'amitié, à la solidarité et à l'espoir. Toujours avec humour et une fascinante ironie l'auteur aborde avec subtilité, dans une posture non militante et peu vindicative la question du racisme et du communautarisme, ramant à contrecourant de l'anti-communautarisme pour faire un plaidoyer pro domo du communautarisme qui n'a pas que des aspects négatifs et a toujours été le mode de vie des primo arrivants à Paris comme les auvergnats qu'on appelait bougnats. le texte s'inscrit dans un métissage culturel subi mais assumé, nous offrant là la description réelle des combats somme toute naturels des personnes qui se côtoient dans les routes des cités urbaines sans se mélanger. Dans ce texte accueillants et accueillis se croisent, se mélangent se côtoient.

Pour terminer cet article, je voudrais vous inviter à un voyage musical en Côte d'ivoire qui assurément facilitera la rencontre avec l'univers de Gauz par-delà les canaux des mots et du texte. Outre Kôkôti Kouadio de Gun Morgan repris dans le livre, je vous recommande surtout Sokokpeu de Amédée Pierre.

Bonne lecture

Kah' Tchou
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Aujourd'hui, embarquement pour le Paris des années 90 et plus particulièrement le quartier de Belleville, même si c'est à Abidjan que l'histoire de notre personnage débute. Black Manoo, Emmanuel à sa naissance, est en effet Ivoirien, et c'est à son arrivée à l'aéroport que nous faisons sa connaissance. Parti en France tout de rouge vêtu avec un faux passeport qui prend aussitôt le chemin du retour pour servir à un autre, il intègre très vite le monde et les usages de ces sans-papiers débrouillards, qui se moquent et se taquinent les uns les autres, mais font front lorsqu'il s'agit de poser l'Afrique en entité à part entière, en opposition aux Français ou aux occidentaux.

Avec lui nous côtoyons, au fil des squats et des places et boulevards, dealers, prostituées, mères célibataires aux nombreux enfants, mais aussi un traducteur hindi – urdu – tamoul originaire d'Inde, un bougnat auvergnat et un paysagiste. Autant de figures colorées qui animent notre lecture. Au fil des pages, cela sent les épices, le poulet bouilli, la friture, et cela sur un fond joyeusement bruyant. Les difficultés quotidiennes ne sont pas masquées, puisqu'il s'agit de survivre dans cette ville, dans des conditions souvent misérables, et la fatalité et le manque de perspectives se font souvent ressentir. Mais elles sont enrobées dans l'humour et l'autodérision, et finalement, d'un jour à l'autre, tout continue d'avancer.

A certains moments, nous repartons également en arrière, à la recherche de sa vie ivoirienne et les divers événements qui l'ont amené à se retrouver à devoir choisir entre arriver à Belleville par la porte de Bagnolet ou la porte de la Chapelle. C'est donc un personnage fort bien construit que nous côtoyons au fur et à mesure que nous tournons les pages.

En plus d'une écriture d'une grande efficacité qui déroule l'histoire de manière toujours prenante, en la découpant en de petits chapitres, j'ai trouvé Gauz, son auteur, plein d'humour et de tendresse envers ses personnages, et j'ai été contaminée par cette tendresse. Black Manoo est attachant, donne envie d'être rencontré, tout comme les personnes qui l'entourent. Cette histoire emplie d'une profonde humanité, jusqu'aux dernières pages du livre, m'a véritablement enchantée, captivée, et remuée.

En résumé, je ne connaissais pas Gauz, mais c'est une rencontre que je suis heureuse d'avoir faite, et une chose est certaine, je lirai ses autres romans.

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