La main de l'empereur, tome 1

Il n’avait jamais aimé la politique, jamais apprécié les nuances de gris. Le monde en noir et blanc lui convenait bien mieux.

- Tu as un bon fond, Dareen. Je ne comprends pas pourquoi tu te livres à la contrebande.
La femme haussa les épaules en sortant de la tente.
- Tu as un bon fond, Rekk. Je ne comprends pas pourquoi tu tues des gens.

- Vous comptez vraiment m'affronter ? Alors qu'on vient de me mettre à la porte parce que je suis trop puissant ? Vous êtes sérieux ?
- Dans une arène, il y a des règles. Dans la rue, les règles, c'est nous. Ne nous prends pas de haut, Rekk le Magnifique. On a tous connu notre lot de combats, on a tous saigné, on s'est tous relevés. Et on est six contre toi.

- Je vous dois la vie, lieutenant. D'habitude, Musheim m'envoie des recrues lamentables.
- Musheim vous envoie la fine fleur de sa noblesse.
- C'est bien ce que je dis.

Oui.
La colère plutôt que la souffrance.
La haine plutôt que la tristesse.
La vengeance plutôt que le désespoir.

Bizarrement, c'étaient toujours les filles les plus virulentes. Comme si elles cherchaient à compenser la discrimination dont elles étaient victimes par une cruauté encore plus acérée.

Sur les remparts, quelques soldats levèrent la tête pour le regarder passer, mais il n’y avait plus de cris enthousiastes. Même s’ils l’avaient voulu, les hommes n’en avaient plus la force. Ils avaient tous perdu des compagnons, et savaient que leur tour allait venir. Leur épée était ébréchée, leur armure bosselée et leurs braies teintées d’urine. Personne n’avait pris le temps de se changer ou de se laver, et du sang séché leur collait à la peau.
La guerre ne ressemblait pas aux chants des bardes. L’héroïsme, ça sentait la terreur, la pisse et la mort.

La guerre ne ressemblait pas aux chants des bardes. L’héroïsme, ça sentait la terreur, la pisse et la mort.

— Tu parles d’un avantage, grommela Dareen. « Ils sont huit fois plus nombreux, mais nous serons courageux. »

Rekk enleva son casque et respira à fond l’air de la nuit. Ça n’avait été que la première journée, les suivantes seraient bien pires.
Mais le mur avait tenu, et les Koushites avaient reculé.
C’était une première victoire.
Il s’assit à côté du soldat vétéran et regarda les étoiles qui luisaient dans le ciel.
— Tu n’as pas fui, Atragus. Le mur ouest a tenu jusqu’au bout, et pas un Koushite n’a réussi à y prendre pied. Je suis fier de toi.
Les entrailles à l’air, la gorge tranchée, Atragus ne répondit pas.