Citations sur Le début des haricots (27)
Lorsque je me sens obtuse, je me dis que les hommes sont hermétiques, qu'ils ne ressentent rien. Et lorsque je me sens diplomate, je me dis qu'ils sont semblables au mercure sur l'émail du lavabo, compacts, indépendants et métalliques, les aspérités du décor n'ont pas de prise sur eux, ils s'échappent et vous glissent entre les doigts, chaque fois que vous tentez de les cerner un peu.
Nous travaillons à divers exercices d'ancrage et de relaxation, que j'effectue avec un succès plus ou moins heureux au gré du relâchement ou de l'emballement de mon activité synaptique. La méditation n'y peut rien pour le moment, mes fondements sont coulés dans le béton armé, je suis définitivement un cerveau bien avant d'être un corps.
Moi, lorsqu’on prononce le mot antidote, c’est bien simple, je ne suis pas aux prises avec des tergiversations compliquées. Je pense immédiatement à la naloxone et à l’atropine. Voire à l’acétylcystéine. C’est tout et ça ne va pas plus loin.
J’attrape une paire de ciseaux et un rouleau de papier adhésif. J’écris en lettres majuscules sur une nouvelle feuille les mots calme, aplomb et sang-froid, je les découpe et je les scotche grossièrement sur mon dessin. Le papier se gondole sous l’assaut. En voilà de l’antidote. J’en ai plein les poches aux urgences. Resterait à en faire preuve une fois la blouse retirée.
On ne peut pas mettre dans le même sac les poissons et les fruits de mer. Ce concept de pesco-végétarisme ne tient pas debout, il est absolument nécessaire d’établir une scission de l’ensemble. Nul n'est censé ignorer que le monde est divisé en deux catégories bien distinctes qui ne tolèrent chacune aucune demi-mesure au sein de leurs rangs respectifs, les mangeurs de mollusques et les autres.
Rien ne m’est plus agréable que de réfléchir à plusieurs problèmes en même temps, de décortiquer la structure des événements, de soupeser mentalement chaque option du champ des possibles. Le fait de ne pas s’y accrocher, le retour à la respiration par contre me paraissent des concepts plus suspects. Je ne vois pas du tout l’intérêt de me départir de cette merveilleuse mécanique mentale qui m’habite. Quant au mot bavardage je l’estime totalement excessif et inadapté.
Mieux vaut sombrer dans l’ésotérisme que dans la dépression. De toute façon, qui se soucie d’une jeune urgentiste chef de clinique sur la sellette, qui néglige jusqu’à l’électrocardiogramme en cas d’angine, personne ne se rendra compte de mon absence. Je serai bientôt virée, je ne fais que prendre un peu d’avance.
Pour lui l’électrocardiogramme est à la médecine ce que le tuteur est au plant de tomates, un guide en toutes circonstances, un prérequis indispensable. On commence par le faire, et puis l’on réfléchit. Le fait que le patient consulte pour une entorse ou une angine lui importe bien peu, ce ne sont pas les chevilles ni la gorge qui animent l’organisme, seul le cœur compte, hors de lui, point de salut.
A San Francisco, il fait beau, on mange bien, je me dis que je ferai quelques soirées buissonnières pour m’en aller lézarder sur la plage, je m’épargnerai ainsi deux ou trois dîners en tête-à-tête avec le docteur Sheffield.
Je ne le porte pas vraiment dans mon cœur, et c’est un euphémisme.
Il a cette façon de me scruter sans ciller qui me met mal à l’aise, comme s’il essayait de me téléporter jusque dans son lit ou comme s’il réfléchissait à une colle à me poser au sujet des dernières recommandations sur le traitement de la fibrillation auriculaire paroxystique. J’ignore laquelle des deux situations serait la pire.
Mon corps héberge deux esquisses de jeune femme. L'une est plutôt vulnérable, l'autre médecin urgentiste. Un passage au vestiaire et** je bascule, je goute d'un coup à la tranquillité de l'aplomb, ce clapotis à mon pourtour, mes connaissances, les gestes de soins qui me sont familiers. A cet endroit, il n'y a pas de doutes, je sais d'évidence que je suis à ma place.
Julia vient de terminer ses saucisses-frite, elle m'adresse son regard d'angelot innocent, celui qui m'enrobe le cœur d'un vernis de pomme d'amour en un millième de secondes.