Citations sur Éclats de sel (17)
La mort s'encombre rarement de délicatesse.
Elle arrive impromptu, vous coupant la parole sans souci ni du lieu ni de l'heure et encore moins des bienséances
Moi je regarde le monde à cœur nu, je vois en grand la détresse des gens minuscules et en infime la splendeur des puissants. Rien ne me normalisera la vue.
Je m’applique à faire taire en moi les vieilles rumeurs qui continuent à s’y répandre pour ne pas perdre de l’ouïe les infimes résonnances qui traversent le silence. C’est peut-être cela, tout ce qui reste à accomplir, apprendre à s’émerveiller de petits riens, à prêter l’oreille à des soupirs montés très discrètement de l’horizon, vagabonder à l’infini entre les quatre murs de sa chambre, se retrouver soi-même là où l’on ne s’attendait pas, autrement que l’on s’imaginait être. Sentir en soi bruire et frémir le temps qui passe, la vie à l’œuvre en sourdine dans notre sang, renouveler sa vision du monde et des autres, l’air de rien mais de fond en comble.
L’histoire de nous, de chacun, toujours recommencée : marcher, marcher jour après jour sur la terre, défier la pesanteur et l’immobilité, arpenter les chemins du temps, du réel et du rêve, scruter la nuit et la lumière, prêter l’oreille aux dits du vent, aux paroles des autres, au sourd chant de la terre, aux clameurs de l’Histoire, au bruit confus de son propre sang charriant tant de mystères, d’échos et de questions.
Chacun a surtout son grain de folie, plus ou moins développé, plus ou moins tendre ou fossilisé, semé dans un recoin de son cerveau. On ne voit pas celui qui nous germe dans la chair et qui rampe dans nos veines et nos nerfs, furtivement, comme un lierre invisible, et qui finit par buissonner dans notre coeur et nos pensées, mais on remarque celui qui sort ses petites pousses chez les autres.
On ne devrait jamis sortir indemne d'une rencontre, quelle qu'elle soit, ou du moins en sortir inchangé.
L'histoire de tous, de chacun, toujours recommencée : marcher, marcher jour après jour sur la terre, défier la pesanteur et l'immobilité, arpenter les chemins du temps, du réel et du rêve, scruter la nuit et la lumière, prêter l'oreille aux dits du vent, aux paroles des autres, au sourd chant de la terre, aux clameurs de l'Histoire, au bruit confus de son propre sang charriant tant de mystères, d'échos et de questions.
Il n'y a pas de pire mal que l'ennui qui, l'air de rien, en catimini, nous écoeure et nous détache de tout, des autres, de nous-mêmes. C'est une rouille aussi sournoise que vorace qui peu à peu nous grignote l'intelligence et du coeur et de l'esprit, nous mine la mémoire où n'émergent à la fin que quelques ilôts de souvenirs indurés ainsi que des tumeurs, des verrues- ainsi les chagrins d'amour par exemple. Et ça corrompt la vue; on perd de vue l'essentiel, et ce qu'on continue à voir, c'est bien souvent par le petit bout de la lorgnette, ou dans le flou, ou d'un seul oeil.
Ludvik fouilla, fouit, explora et scruta dans tous les recoins de sa mémoire, de son coeur, de sa conscience ; la jalousie, la colère, le dégoût, la rancoeur jonchaient encore sa pensée d'Esther, il ne parvenait toujours pas à l'évoquer sans ressentir une émotion pénible, -- un mélange de désarroi et de chagrin acide. Mais il tint bon, il creusa dessous tous ces débris, ces braises, ces scories, et soudain, dans ses mains nues il sentit qu'il tenait le visage d'Esther ; son visage, non plus seulement d'amante, mais de personne humaine unique parmi la multitude d'autres uniques. Son visage aussi nu, vulnérable, que l'étaient ses propres mains éprises seulement de tendresse, sans garde ni mesure. Son visage comme une eau claire au creux des paumes, au milieu du désert. Et il sut qu'il l'avait aimée, bien plus encore que de passion, bien davantage même qu'il ne l'avait soupçonné. Il compris qu'il l'avait aimée jusqu'à un point de non-retour. Alors , pour la première fois, toute colère, toute rancoeur, tombèrent de lui, et la beauté , la gratitude d'avoir aimé se révélèrent telles qu'elles dépouillèrent son vieux chagrin de tout ressentiment. Son chagrin demeura, mais à la façon d'un animal blessé, éreinté de fatigue, qui se coucherait sur le seuil d'une merveille et y ferait patience, sans geindre ni gronder, sans rien attendre.
« Il manquait à Ludvik cet élan, cette inépuisable générosité que seul octroie l’oubli de soi. Plus l’oubli est profond, plus le cœur est prodigue. Ludvik était simplement las de lui-même, et donc de tout et de tous. » (p. 21)