J'aimais passionnément la campagne aux environs d'Uzès, la vallée de la Fontaine d'Eure et, par-dessus tout, la garrigue.Les premières années, Marie, ma bonne, accompagnait mes promenades. Je l'entraînais sur le "mont Sarbonnet", un petit mamelon calcaire, au sortir de la ville, où il était amusant de trouver, sur les grandes euphorbes au suc blanc, de ces chenilles de sphinx qui ont l'air d'un turban défait et qui portent une espèce de corne sur le derrière ; ou, sur les fenouils à l'ombre des pins, ces autres chenilles, celles du machaon, ou du flambé qui, dès qu'on les asticotait, faisaient surgir, au-dessus de leur nuque, une sorte de trompe fourchue très odorante et de couleur inattendue.
Roger Martin du Gard, à qui je donne à lire ces Mémoires leur reproche de ne jamais dire assez et de laisser le lecteur sur sa soif. Mon intention pourtant a toujours été de tout dire. Mais il est un degré dans la confidence que l'on ne peut dépasser sans artifice, sans se forcer ; et je cherche surtout le naturel. Sans doute un besoin de mon esprit m'amène, pour tracer plus purement chaque trait, à simplifier tout à l'excès ; on ne dessine pas sans choisir ; mais le plus gênant c'est de devoir présenter comme successifs des états de simultanéité confuse. je suis un être de dialogue ; tout en moi combat et se contredit. Les Mémoires ne sont jamais qu'à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu'on ne le dit. Peut-être même approche-t-on de plus près la vérité dans le roman.
Et il faut reconnaître que le culte protestant de ma petite chapelle d'Uzès présentait, du temps de mon enfance encore, un spectacle particulièrement savoureux.
Nous causions inlassablement, intarissablement; le texte des livres de Proust est ce qui rappelle le mieux le tissu de nos causeries. Nous glosions sur tout et coupions en quatre les plus ténus cheveux du monde. Temps perdu ? Je ne puis le croire : une certaine subtilité de pensée et d'écriture ne s'obtient pas sans ergotages.
J' admire qu' une instruction si brisée ait malgré tout pu réussir en moi quelque
chose : l' hiver suivant ma mère m' emmena dans le Midi .
Les Catholiques sont ceux qui croient à la sainte Vierge .
« Rien de plus différent que ces deux familles ; rien de plus différent que ces deux provinces de France, qui conjuguent en moi leurs contradictoires influences. Souvent, je me suis persuadé que j’avais été contraint à l’œuvre d’art, parce que je ne pouvais réaliser que par elle l’accord de ces éléments trop divers, qui sinon fussent restés à se combattre, ou tout au moins à dialoguer en moi. Sans doute ceux-là seuls sont-ils capables d’affirmations puissantes, que pousse en un seul sens l'élan de leur hérédité. Au contraire, les produits de croisement en qui coexistent et grandissent, en se neutralisant, des exigences opposées, c’est parmi eux, je crois, que se recrutent les arbitres et les artistes. Je me trompe fort si les exemples ne me donnent raison.
Mais cette loi, que j’entrevois et indique, a jusqu’à présent si peu intrigué les historiens, semble-t-il, que dans aucune biographie que j’ai sous la main […] à quelques noms que je regarde, je ne parviens à trouver la moindre filiation sur l’origine maternelle d’aucun grand homme, d’aucun héros. »
Cette année 1881, ma douzième, ma mère qui s' inquiétait un peu du désordre
de mes études et de mon désoeuvrement à la Roque, fit venir un précepteur.
La joie en moi, l' emporte toujours ; c' est pourquoi mes arrivées sont plus sincères que mes départs. Au moment de partir, cette joie, souvent il n' est point
décent que je la montre.
Le grand plaisir du débauché, c'est d'entraîner à la débauche.